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LE MONDE GRÉCO-SLAVE.

passage d’un Ottoman, fût-il même pacha. Grace au voisinage de la fière Stamboul, ils sont à la fois plus dignes, plus industrieux et plus riches que les autres Bulgares, mais ils sont aussi d’autant plus pressurés par les agens du fisc. Dans les vastes plaines où ils ont émigré, ils échappent en effet plus difficilement aux percepteurs impériaux que leurs frères de la montagne. C’est là sans doute ce qui les rend généralement graves et sombres ; ils saluent rarement le voyageur, et ne lui souhaitent point le dobar stchast (le bon lot), comme fait le Bulgare de Macédoine, dont la physionomie ouverte et sereine indique la sécurité intérieure.

Sur les plateaux du Balkan, entre Sères et Sofia, Philibé et Ternov, le sort des Bulgares est bien différent ; nulle part ce peuple ne jouit d’une plus complète indépendance. Dans ce haut pays, dont il est l’unique habitant, le Bulgare fait presque ce qu’il veut ; il orne même les chemins de croix, manifestation religieuse qui dans la plaine serait sévèrement punie ; il va jusqu’à couvrir ses fontaines publiques d’emblèmes chrétiens et d’inscriptions en sa langue. C’est là, mais là seulement, que le Bulgare offre tous les caractères d’un peuple montagnard resté à l’état primitif : vivacité, fierté, amour exalté de la race, passion du merveilleux et de la vie héroïque. Là, derrière ses rochers, le Bulgare se sent appuyé sur une force terrible, les haïdouks. Il y a peu de familles nombreuses dont quelques membres ne soient haïdouks ou brigands dans la montagne. — Le pacha me dépouillait, et j’ai envoyé mon fils aux haïdouks, vous dit tranquillement le père de famille. Dès qu’une maison compte ainsi plusieurs de ses membres au désert, l’avanie s’éloigne d’elle, et les Turcs même la respectent, car elle pourrait se venger. Ces haïdouks sont divisés en bandes plus ou moins nombreuses, sous des capitaines qui, comme faisaient certains barons dans les temps d’anarchie féodale, interceptent les défilés, attaquent les caravanes turques, les percepteurs arméniens, et tâchent de faire dégorger ces sangsues de leur patrie. On cite d’eux des prodiges de force et de courage qui sembleraient fabuleux, s’ils n’étaient fréquens : deux ou trois haïdouks disperseront quelquefois tout le cortége d’un pacha. Quant au voyageur inoffensif, il a rarement à craindre une déloyauté de leur part ; en se faisant brigands, les haïdouks suivent uniquement la voix qui leur crie de venger l’oppression des leurs, ils croient remplir un devoir.

Sur tous les points où des bandes cachées d’haïdouks le protégent, le paysan bulgare relève la tête en face de ses oppresseurs. Quand,