Page:Revue des Deux Mondes - 1842 - tome 30.djvu/911

Cette page a été validée par deux contributeurs.
905
LE MONDE GRÉCO-SLAVE.

annoncent une certaine aisance ; elles ne se touchent point, chacune est isolée et entourée d’un jardin ; les fenêtres sont grillées comme celles des maisons musulmanes. Depuis que cette ville n’est plus la résidence du begler-bey (prince des princes), ou gouverneur-général, ses fortifications s’écroulent, ses palissades vermoulues tombent, et ses fossés se comblent peu à peu ; mais le commerce continue d’y fleurir.

Comme toute grande ville orientale, Sofia a conservé sept églises privilégiées, que desservent quinze à seize papas, sans parler des moines de plus de vingt monastères cachés dans les montagnes d’alentour. C’est chez les habitans de ces cloîtres que s’est concentrée la force d’action du clergé bulgare. La cathédrale n’est qu’une crypte à moitié enfouie au fond d’un jardin. Dans un tchardak ou pavillon circulaire qui s’élève à la porte du temple, on voit les prêtres à longue barbe s’accroupir, après leurs offices, sur des tapis, et fumer le tchibouk comme des Turcs. Au bas de cette colline sacrée s’élève le rustique palais de l’archevêque, qui ressemble à une modeste habitation de curé.

Jaloux de l’intérêt que je portais aux monumens bulgares, les imans turcs vinrent m’offrir de me montrer aussi les leurs : je les suivis dans leur grande mosquée. Elle est réellement majestueuse au dedans comme au dehors, et on peut hardiment la ranger parmi les rares chefs-d’œuvre de l’art oriental que le voyageur doit visiter. Cette mosquée est un ouvrage grec, et fut consacrée anciennement au culte chrétien ; on l’appelle la Sophie, c’est le nom que portent ordinairement les cathédrales gréco-slaves. Les premiers Bulgares trouvèrent ce monument si beau, qu’ils donnèrent le nom de Sophie ou Sofia à la cité où il s’élève, nommée auparavant Sardika ou Serdica[1]. Les Bulgares appellent aussi cette ville Triaditsa, nom qui semble une variante de celui de Sofia. Au moyen-âge, les sophies ou cathédrales gréco-slaves étaient en effet souvent consacrées à la divine triade. Comme je sortais de la grande mosquée, un Bulgare s’approchant me dit : — C’était jadis notre église ! — Et elle le redeviendra, lui répondis-je. — Da bog daï (Dieu donne), s’écria-t-il, mais en s’éloignant vite, car il voyait approcher un brillant officier turc sur un cheval caparaçonné d’or. Le fier spahi tenait, à la ma-

  1. Ce nom vient peut-être du slavon serdce, cœur, ou centre du pays, s’il est vrai que les Illyriens de ces montagnes, au temps d’Alexandre et de César, étaient déjà des Proto-Slaves.