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vignobles, de tilleuls et de pruniers sauvages, Ternov est dominée par un cône escarpé. Un isthme de rochers tellement étroit qu’il ne laisse d’espace que pour un aqueduc et un petit sentier, forme la seule voie de communication entre ce cône et la ville. Environnée d’abîmes verdoyans, Ternov présente des aspects délicieux qui rappellent ceux de Kiyov, la ville sainte des premiers Russes. Ternov est aussi la ville sainte des Bulgares ; leurs derniers rois, ou krals, habitèrent ses murs. Malheureusement rien n’est resté du palais de ces rois, et la cathédrale des patriarches n’a pas eu un meilleur sort. L’église métropolitaine actuelle peut à peine être comparée à un temple de village ; les nombreux couvens qu’on remarque sur les collines d’alentour ne sont que de misérables amas de cabanes. De la puissante Ternov du moyen-âge, dont les marchands et les moines portaient la civilisation et le commerce jusqu’au fond de la Moscovie, c’est à peine s’il reste le souvenir. Néanmoins, jusqu’à ce qu’il s’élève pour Ternov une héritière sur le Danube ou sur la Maritsa, cette ville demeurera l’objet du culte superstitieux des pauvres Bulgares ; ils y viennent en pèlerinage, et leurs chants célèbrent toujours sa Sveta-Horata (montagne sacrée), dont les forêts mystérieuses recèlent des génies propices et les mânes des anciens rois.

La grande cité de Vidin est devenue, à la placede Ternov, la capitale de la Bulgarie danubienne. Son bazar infect, ses rues pleines de cadavres en putréfaction, que se disputent des nuées de vautours, indiquent assez que, sur ses vingt mille habitans, la plupart sont musulmans. Sa citadelle, qui a été de tout temps d’une haute importance pour l’empire d’Orient, est devenue assez forte depuis qu’on l’a réparée à l’européenne. Là siége le terrible Hussein, pacha-visir, c’est-à-dire chef suprême de tous les pachas de Bulgarie. Les Turcs se trouvent en majorité dans ce district, aussi les agriculteurs s’en sont-ils écartés ; les troupeaux seuls et leurs sauvages gardiens parcourent en tous sens la plaine et les monts qui s’étendent entre Vidin et Nicha. Le gros village de Belgradjik est situé à moitié chemin des deux villes ; il s’élève comme un nid d’aigle parmi d’effrayans précipices. Sur la droite, l’impétueux Timok porte ses eaux au Danube et creuse un ravin profond qui sépare la Bulgarie de la Serbie.

Tout le long de cette frontière, et jusqu’en Albanie, on trouve des karaouls, grosses huttes carrées qui ont la forme de tours d’observation. Ces huttes s’élèvent sur des collines ; dans chaque karaoul sont cantonnés, pour la sûreté des routes, sept à huit gendarmes turcs, vivant avec leurs femmes du produit des terres environnantes.