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LE MONDE GRÉCO-SLAVE.

figures du Pérugin, les plus suaves créations de Fiesole et des fresques florentines, n’ont qu’à voyager dans le Balkan. Malheureusement ce peuple, dont le type est si beau, dont l’origine slave est si puissamment accusée, a conservé dans ses mœurs moins de poésie que les peuples environnans, et le seul sentiment que le Bulgare porte encore jusqu’à l’héroïsme, c’est une jalouse susceptibilité pour l’honneur de sa compagne. Dans quelques districts du nord, la femme bulgare ne sort que la figure voilée, et, sous cet épais bandeau, elle pourrait être confondue avec la femme turque, si elle ne laissait sa bouche à découvert, contrairement à l’usage des musulmanes. Comme tous les Slaves, le Bulgare charme sa misère par le chant. Le matin quand elles sortent, le soir quand elles rentrent au village, la faucille à leur ceinture, rangées processionnellement sur deux lignes, les femmes chantent, et les hommes, qui les suivent à cheval, en portant les instrumens du labourage, répondent par des refrains monotones aux accens de leurs compagnes. Quoique l’age et les fatigues ne tardent pas à flétrir leur beauté, les femmes bulgares ne perdent jamais pour cela ni la gaieté ni la grace ; jamais non plus elles n’oublient, le dimanche, de se couronner de fleurs.

Des voyageurs assurent que, dans les villages de Bulgarie, les jeunes filles vont au-devant de l’étranger, et l’amènent jusqu’à la maison de leurs parens en lui jetant des roses. Cette poétique fiction ne pourrait guère se réaliser, quand même le Bulgare en aurait le désir, car le plaisir qu’il goûte en exerçant l’hospitalité est sans cesse troublé par la crainte de l’arrivée d’un Turc. Les Ottomans, comme toute aristocratie, mettent leur orgueil à exercer une hospitalité fastueuse ; aussi voient-ils d’un œil jaloux le Bulgare rivaliser avec eux sous ce rapport. Pour recevoir un hôte, le handjia (maître d’hôtellerie bulgare) doit s’assurer l’agrément du pacha ; sinon, la bastonnade sous la plante des pieds sera son châtiment. L’accueil du Bulgare n’offre donc pas ce caractère d’empressement chevaleresque qui distingue l’hospitalité grecque et celle des riches musulmans. Les aubergistes turcs refusent de déclarer au voyageur ce qu’il doit, et le laissent payer à son gré ; l’hôtelier raya commence toujours au contraire par demander pour combien de piastres on veut prendre de telle chose.

Malgré les obstacles qui en gênent l’exercice, l’hospitalité bulgare conserve néanmoins encore quelque chose de poétique et d’affectueux. Quand le voyageur passe, les enfans viennent jeter sous ses pieds des poignées de froment, comme pour dire : Nous sommes les