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plis flottans ; fils du nord, le Bulgare au contraire est toujours, même l’été, vêtu chaudement. Il a conservé le costume que portaient ses ancêtres sur les froids plateaux de l’Asie septentrionale. Sa capote courte avec ou sans manches, les bandes épaisses dont il enveloppe ses jambes et dont l’usage est inconnu aux Slaves restés primitifs, son pantalon, sa tunique, sa large ceinture, tout est en laine. Le costume des femmes est plus gracieux. La jeune fille marche la tête nue, avec un réseau de fleurs sur le front ; fiancée, elle prend un voile blanc ou se couvre d’une coiffe à longs bords flottant sur ses épaules ; au sommet de sa tête et par-dessus ce voile, elle place un souci, emblème de sa vie laborieuse, ou une rose fraîchement cueillie. C’est ainsi que l’on voit dans les monumens antiques une flamme ou le lotos épanoui surmonter le voile de Vesta.

Croyant racheter par une riche parure leurs charmes disparus, les femmes âgées se couvrent de colliers en verroterie et de bracelets ; elles portent une ceinture en cuivre doré, et chargent leur tête d’une coiffure disgracieuse en forme de casque, d’où tombe un réseau de piastres, de paras, et souvent de médailles antiques déterrées dans les champs. Dédaignant ce luxe puéril, les jeunes filles laissent au contraire flotter leur superbe chevelure, qui se déroule en flots tellement épais, qu’on serait tenté d’en attribuer la croissance à des moyens artificiels. Elles pourraient à la lettre se couvrir de cette chevelure comme d’un vêtement, souvent elle dépasse même leurs pieds ; et quand, obligées d’aller à un travail pressant, elles n’ont pas eu le temps de relever ces tresses tantôt blondes, tantôt d’un noir de jais, leurs cheveux, qui flottent derrière elles comme le pan d’un manteau, traînent sur les fleurs des prairies. On croit rêver en voyant pour la première fois ces beautés du monde barbare ; on admire ces formes où l’énergie la plus virile n’efface pas la mollesse des contours ; on regarde avec étonnement passer ces vierges du Balkan, comme on regarderait fuir la gazelle du désert ou le cygne des lacs de la Grèce. Le voyageur qui les questionne craint de les trouver silencieuses, tant elles paraissent appartenir à un autre âge du genre humain ; il craint qu’avec la beauté majestueuse d’une statue antique, elles n’en aient l’insensibilité. Mais, quand on s’aperçoit peu à peu que ces belles créatures cachent sous leur rude extérieur une ame capable des plus délicates affections, il y a un moment où l’on doute malgré soi de la supériorité des femmes de la civilisation sur ces vierges de la nature.

Les peintres qui voudraient retrouver vivantes les plus naïves