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DU MOUVEMENT PHILOSOPHIQUE.

on se donne un faux air de novateur et de prophète qui fait illusion aux esprits faibles. La philosophie, ne l’oublions pas malgré tant de tristes exemples, est faite pour diriger les passions et non pour les suivre. Descartes a fait une révolution dans la méthode ; aujourd’hui que nous avons la méthode et la liberté, ce qu’il nous faut, ce ne sont pas des révolutions, ce sont des améliorations. Les philosophies révolutionnaires n’existent qu’en vue des partis révolutionnaires et ne cherchent des principes que pour faire prévaloir des conséquences prévues. Ici, à la porte des conciliabules où la théorie se commente ouvertement par la pratique, la plupart de nos docteurs ne sont pas leurs propres dupes ; mais quel irréparable malheur si le bruit qu’ils font dans les journaux et dans les pamphlets allait séduire en province quelques jeunes esprits pleins de sincérité et d’enthousiasme, et les enrôler, à leur insu, dans ces bandes noires d’une nouvelle espèce ! Ce jargon néo-chrétien, ces idées indécises, ces théories au masque généreux et aux conséquences sinistres, ne doivent pas, ne peuvent pas prévaloir contre l’esprit ferme, sensé, raisonnable, de la philosophie française. En province, comme à Paris, il y a partout de mauvaises passions, et, par conséquent, un moyen assuré pour le philosophe d’acquérir la mauvaise popularité. C’est à lui de choisir entre l’office d’un médecin ou celui d’un laquais, entre la guérison ou les applaudissemens du malade.


Jules Simon