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LE MONDE GRÉCO-SLAVE.

l’Albanie orientale, on y trouve encore des districts entiers où la seule langue vulgaire est le bulgare. Enfin ils descendent jusqu’en Livadie, et on les rencontre même en Morée. La puissance d’infiltration de ce peuple vient de sa nature souple et laborieuse. Toutefois, comme il préfère les villages aux villes, qu’il abandonne volontiers aux Hellènes, il reste inaperçu ; mais il n’en forme pas moins la plus nombreuse de toutes les races qui habitent la Turquie d’Europe, sans excepter même les Grecs.

Pourquoi donc le nom de Bulgarie ne désigne-t-il qu’un si petit territoire ? Ce fait trouve son explication dans la politique rusée des Turcs, qui ont embrouillé à dessein les limites des peuples subjugués, pour qu’il leur fût impossible de se distinguer entre eux. Les Turcs ont fait dans leur empire ce que fait encore aujourd’hui le czar en Pologne : ce vaste pays, qui renfermait tant de provinces, est réduit, à force de mutilations, à ne plus être aux yeux des Russes qu’une gubernie ou province. L’antique tsarie bulgare, démembrée par les sultans, ne renferme plus que huit à neuf cent mille ames ; mais, en dehors de cette Bulgarie officielle, des provinces entières parlent encore la langue bulgare, à peu près comme, en dépit des conventions diplomatiques, Bruxelles et Chambéry parlent et pensent en français.

Il ne faudrait cependant pas conclure que tous les districts où se parle le bulgare tendent à ne former qu’un seul corps ; plusieurs de ces districts ont des intérêts si intimement liés aux intérêts helléniques, qu’on ne saurait sans imprudence songer à les désunir. Une grande partie des rayas de la Thrace se rattacheront toujours, par exemple, aux Grecs de Constantinople. Déjà sous le bas-empire, au temps où les Bulgares formaient un royaume puissant, ceux de la Thrace s’étaient unis aux maîtres du Bosphore et leur payaient tribut ; ils portaient dans l’histoire le nom de Romei (Roméliotes), nom commun à tous les Grecs. Encore aujourd’hui, ce sont eux qui sympathisent le plus avec les Hellènes, dont ils savent presque tous l’idiome ; et, quoiqu’ils parlent de préférence leur langue nationale, ils la parlent avec ce mélancolique et méditatif accent grec, mélange de lenteur et d’impétuosité, de sons étouffés et de sons ardens, qui manque aux autres Bulgares.

Ce peuple émigre d’ailleurs volontiers ; on le trouve répandu dans beaucoup de districts éloignés, comme en Serbie et en Valachie, où il vit absolument séparé de sa mère-patrie. Mais, malgré leur humeur voyageuse, les Bulgares éprouvent la plus grande répugnance à se fondre avec une autre nation. Après leur campagne de 1829, les