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il est clair que, si ces deux voies commerciales tombaient à la fois sous l’exploitation d’un même gouvernement, elles le rendraient maître effectif de la moitié de l’Europe. L’Occident, la France surtout, a un très grand intérêt à empêcher cette concentration imminente des grands débouchés de l’Asie entre les mains d’une seule puissance, et la nation bulgare, qui couvre Constantinople, qui la bloque pour ainsi dire hermétiquement du côté de la terre, réclame toute l’attention de notre diplomatie.

Cette nation compte aujourd’hui 4,500,000 ames ; la profondeur continentale du pays qu’elle occupe est en proportion avec l’étendue de ses côtes. Le peuple bulgare tend même à s’enfoncer de plus en plus dans l’intérieur des terres : du côté de la Thrace, vaste désert livré aux pasteurs turcs, il colonise chaque jour de nouveaux terrains ; du côté de la Grèce, il s’étend jusqu’au cœur des provinces helléniques, dont les indigènes, concentrés dans les villes et sur les côtes, ont depuis long-temps abandonné les vallées aux émigrans des montagnes. Là se montrent avec énergie les tendances opposées des deux races : le Slave ne cherche qu’à coloniser la terre ; le Grec, au contraire, veut exploiter les mers et se créer sur toutes les côtes des comptoirs ou des cités. Si ces deux tendances rivales pouvaient se combiner harmonieusement et agir avec indépendance, elles suffiraient pour régénérer l’Orient.

Négligeant de constater la marche et le déplacement des races, les géographes continuent d’assigner pour limites à la Bulgarie la Thrace, la Macédoine et l’Albanie, trois provinces où abonde aujourd’hui la race bulgare. Cette race forme même le principal noyau de la population en Macédoine, puisqu’on y parle les idiomes serbe et bulgare dans tous les districts du sud-ouest, depuis la ligne de montagnes situées entre Kailari, Chatitsa, Ostrovo et Verria, jusqu’aux vallons de Niausta et Vodena ; au midi seulement de cette ligne, le paysan de la Macédoine est Grec. Une courte lisière de la côte de l’Archipel appartient exclusivement à des familles bulgares, qui y occupent les petites villes de Bouïouk-Betchik, Bazar-Djedid et Sidero-Kaiech. Le nombre des Bulgares qui habitent Salonik est tel, qu’on ne peut s’empêcher de regarder cette grande ville comme possédée en commun par les Grecs et les Slaves, et on n’en exclurait certainement pas ces derniers sans provoquer dans la péninsule une sanglante réaction. En Thrace, les Bulgares tiennent aussi d’importantes positions, et jusque près de Constantinople, à Indjig, petite ville manufacturière, ils forment le fond de la population. Si l’on se tourne vers