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MORALISTES DE LA FRANCE.

une autre maladie qui survint à son fils, émurent coup sur coup ses inquiétudes et fixèrent ses irrésolutions. Pâques approchait ; elle résolut de s’adresser au sage abbé Le Gris-Duval. Elle s’exagérait un peu l’accès de la religion, la difficulté des œuvres, la nécessité des épreuves peu ordinaires ; le respectable ecclésiastique la rassurait. Osons, non pas en vue de louange pour elle, mais en vue du fruit pour quelques-uns, osons soulever un coin du saint voile ; elle s’écriait « … C’est vous, mon Dieu, qui avez permis que je vinsse un moment dans ce monde, où nous sommes tous appelés, pour y faire un court et pénible voyage. Quand il sera terminé, alors nous reviendrons vers vous. Comment me recevrez-vous alors, quand j’apporterai au pied de votre saint tribunal le récit craintif d’une vie à peu près vide de bonnes œuvres ? Oserai-je vous parler de ces faibles vertus dont les hommes insensés me louaient, parce qu’ils ignoraient qu’elles n’étaient point accompagnées de sacrifices ? Me vanterai-je d’avoir été sage, quand vous me direz que j’étais si heureuse ? Pourrai-je vous raconter quelques légères aumônes, qui ne me coûtaient aucunes privations ? Dirai-je que je ne haïssais point mes ennemis, lorsque vous aviez permis que mon cœur fût entièrement occupé par les sentimens les plus doux ? Que deviendrai-je quand vous me reprocherez de m’être enorgueillie de ma félicité, et d’avoir été fière quelquefois d’être si heureuse fille, si heureuse femme et si heureuse mère ? Je me souviendrai alors, avec amertume, que je négligeais de rendre graces à mon Créateur de tous ces biens qu’il m’avait départis » Et l’abbé Duval, avec cet accent simple et persuasif qui était le sien, lui répondait : « Vous êtes heureuse, dites-vous ; pourquoi donc vous en affliger ? Votre bonheur est une preuve de l’affection de Dieu pour vous ; et si, en effet, votre ame est aimante, peut-elle se refuser à répondre à la bienveillance divine ? La religion, hors dans certains cas particuliers, veut une vie active. Il est plus facile, croyez-moi, d’abandonner son cœur à l’amour et au repos dans la retraite, que de servir Dieu dans le monde ; c’est l’œuvre aussi d’une vraie piété d’y parvenir en cette dernière voie… Gravez au dedans de vous-même cette première vérité, que la religion veut l’ordre avant tout, et que, puisqu’elle a permis et consacré l’établissement des sociétés, elle se plaît à encourager tous les devoirs qui concourent à les maintenir… Mais surtout chassez de votre esprit cette erreur, que les peines seules peuvent nous rendre agréables à Dieu. La disposition générale à les supporter nous suffit. Laissez faire à la vie et au temps pour nous en apporter. Disposez-vous d’avance à la résignation, et, en atten-