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de tourner le dos à l’avenir, y marche, comme au matin, accompagnant ou plutôt précédant son guide bien-aimé : à la voir de loin si active et si légère, on dirait une sœur.

Comme Mme Necker de Saussure, comme Mme Guizot, Mme de Rémusat s’est préoccupée vivement de l’avenir de son sexe dans cette prochaine société qui était en train de s’asseoir sur des bases encore vacillantes. Je n’aborderai pas le détail d’un livre que chacun peut apprécier. Tout le but, tout l’esprit en est dans l’accord de la morale, du sérieux et de la grace. Une inspiration particulière s’y mêle, on le sent, et en est comme la muse secrète. Il faut être mère pour s’occuper aussi tendrement de ce qui sera après nous ; c’est encore songer à son fils que de tracer l’idéal de sa compagne.

Mme de Rémusat était donc, vers 1820, dans la maturité de son esprit, dans le développement de ses opinions probablement définitives, mais pourtant actives, devenue très simple de manières, gaie même, nous dit-on, et d’une grande aisance d’esprit et de conversation, aimant la jeunesse et le nouveau, un peu railleuse, pieuse ou plutôt chrétienne, sans grande ferveur apparente, mais décidée et appuyée sur des points précis. Quoique vieillie avant le temps, sa santé semblait un peu meilleure, ou du moins lui laissait plus de liberté d’action. Elle avait pris le goût de la vie intérieure et domestique, tout entière adonnée au bonheur des siens, quand elle leur fut enlevée bien prématurément en décembre 1821.

Dans un petit cahier de pensées, je lis de précieuses confidences qu’elle se traçait à elle-même sur la suite de ses sentimens religieux en tout temps, sur ses distractions aux années légères, sur son retour à une certaine heure. C’est toute une vie intime, une veine cachée au monde, et dont il ne se doute pas. Ne soyons jamais trop prompt à préjuger sur ces mystères des ames. Il est consolant de penser que, si l’on ne devine pas tout le mal qui fuit, on ne soupçonne pas non plus tout le bien. Depuis un voyage qu’elle fit à Cauterets étant malade, en 1806, la pensée chrétienne lui revint et ne la quitta plus entièrement ; on en suivrait la trace dans ce recueil secret par une suite d’extraits de Pascal, de Fénelon, de Bossuet, de Nicole, de saint Augustin, par des prières même composées par elle, ou que lui avait communiquées Mme de Vintimille. Elle prenait copie de la belle lettre de Mme de Maintenon à la duchesse de Ventadour. Mais ce n’était là encore que ce qu’elle appelle des demi-engagemens ; le grand évènement intérieur, la réconciliation data, pour elle, d’avril 1812. Une maladie grave qu’elle avait faite au commencement de cette année,