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MORALISTES DE LA FRANCE.

turité. La révolution avait changé les conditions des diverses classes de la société, et déplacé, en quelque sorte, le centre des forces : il tendait à se fixer désormais dans les classes moyennes. Mais les troubles civils, et, aussitôt après, l’éclat de l’empire, avaient dérobé ce résultat, qui n’apparut un peu nettement qu’au début de la restauration. Le retour subit à de certains usages surannés rendit, du premier jour, le nouveau point central plus sensible, en le tiraillant et le faisant crier. Mme de Rémusat, un peu distraite par les grands évènemens qu’elle avait considérés de si près, se trouva tout d’un coup, avec son genre d’esprit méditatif, en présence de ces questions survenantes et dans la position la plus propre à en être bien informée, autant que vivement excitée. Sa place désormais et celle de son mari étaient dans le parti constitutionnel de la restauration, dans cette nuance d’opinion qui formait le centre gauche d’alors. M. de Rémusat, nommé préfet à Toulouse en 1815, et à Lille en 1817, ne devait être destitué que par le ministère Villèle, dont ce fut le premier acte en fait de réaction. Cette vie de province, qui n’était pas d’ailleurs sans d’assez fréquens retours, laissait à Mme de Rémusat plus de loisirs ; elle ne continuait pas moins de participer au mouvement le plus intime de Paris par la précocité de son fils, qui entrait alors dans le monde, et qui correspondait de tout avec sa mère. Elle se trouvait naturellement liée avec M. et Mme Guizot, avec M. de Barante ; il la lia avec Mme de Broglie, qu’elle a trop peu vue, mais avec qui elle a entretenu, dans ses dernières années, de vraies et tendres relations.

Si le plus noble besoin d’un fils confiant et pieux est d’avoir sa mère pour première confidente et pour compagne, j’y vois aussi, et avant tout, un bien touchant rajeunissement de la mère. Si intelligente qu’elle soit, son meilleur lot est encore de comprendre toutes les idées par le cœur. Des mères aux fils surtout, on l’a remarqué, l’affinité est grande. Par eux, elles deviennent plus courageuses d’esprit. Avec eux, volontiers, elles iraient jusque dans les voyages, dans les combats ; elles les suivent dans les idées nouvelles. Cette femme tendre, calme, habituée aux devoirs aimables de la société, s’y contenant, dont l’esprit sérieux et orné n’avait jamais trop songé pourtant à franchir les limites d’un gracieux horizon, la voilà tout d’un coup qui, à l’âge du repos, à ce moment où l’esprit est le plus sujet à s’arrêter, où le cœur se plaint et gémit tout bas des choses qui s’en vont, la voilà qui se ranime au contraire, qui s’excite et sourit à des vues neuves, prend part à de jeunes projets, et, au lieu