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l’air, à l’état de fil de la Vierge, et flotte en pur rêve. La suite des diverses petites scènes, chez Mme de Rémusat, est bien dessinée, bien motivée ; je demanderais au style toujours élégant et pur, sinon plus d’éclat par places, du moins plus d’imprévu, quelques molles négligences. Il manque très peu à cette nouvelle pour être digne de se glisser entre telle agréable production de Mme Riccoboni et telle autre de Mme de Souza : il y manque un certain duvet de jeunesse, même d’ancienne jeunesse, c’est-à-dire tout simplement peut-être d’être sortie à temps du tiroir, d’avoir su éclore en sa saison et d’avoir essuyé un air de soleil.

En ces sortes d’ouvrages surtout, où il y a couleur et fleur, c’est une différence incomparable de vieillir dans le tiroir ou de vieillir à la lumière. Les ouvrages qui sont dans ce dernier cas (et c’est le lot commun même des meilleurs) peuvent dire : J’ai eu mon jour. Ils ont épousé le public ; ils sont entrés dans ses impressions une fois ; il y a gradation jusque dans leurs pertes : ils vieillissent avec harmonie.

Le second roman de Mme de Rémusat dont j’aie à parler, les Lettres espagnoles ou le Ministre, est une composition d’un autre ordre, et plus importante. Commencée vers 1805, à la cour impériale, elle ne se reprit ou ne s’acheva qu’en 1820 ; elle porte dans sa trame l’empreinte des modifications successives que subirent les idées de l’auteur ; et l’esprit de Mme de Rémusat, toujours actif, se modifia, se mûrit incessamment.

La première restauration l’avait trouvée toute disposée. La fatigue et le détachement des esprits étaient grands sur la fin de l’empire. Elle avait trop vu, pour son compte, et touché de trop longue main les ressorts, pour n’en être pas froissée ; elle en causait confidemment, depuis des années déjà, avec le personnage le plus revenu. Ce fut donc par un sentiment d’espérance, et même avec une certaine vivacité d’anciens souvenirs, qu’elle accueillit l’ordre renaissant, qui devait briser peut-être, et certainement diminuer pour elle la position acquise. Le petit roman des deux jeunes émigrés, qui date de 1814, exprime assez bien, dans plusieurs détails, cette espèce de teinte bourbonienne que prirent à ce moment ses pensées. Mais les excès et les ridicules de la réaction royaliste, surtout en 1815, la remirent bien vite et naturellement dans la justesse de son point de vue et dans le vrai de ses opinions. Les idées constitutionnelles reparaissaient sur le tapis comme pour la première fois : son intelligence ferme en embrassa d’abord l’étendue. Les conditions d’une société nouvelle et d’un avenir laborieux se vinrent démasquer de toutes parts dans la