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DU MOUVEMENT PHILOSOPHIQUE.

pour la propagation de la philosophie, il le faut aussi pour aider à ses progrès, pour éveiller le talent, inspirer le goût et l’ardeur du travail, séparer la science de la politique, faire revivre les traditions locales, et tourner au profit de la philosophie française le génie particulier de chaque population. Jusqu’ici le mouvement philosophique de la province lui est à peine propre, elle n’a pu répondre encore à l’appel qui lui est fait, et les livres qu’elle nous envoie ne peuvent point donner lieu à des conclusions générales. On publie à Paris plus de philosophie que d’histoire, en province plus d’histoire que de philosophie. La plupart des mémoires sur la philosophie ancienne qui ont été faits dans ces derniers temps ont été faits en province. Ce résultat était facile à prévoir ; le besoin d’innover, et aussi peut-être la facilité de réussir par de puériles innovations, se rencontre plutôt à Paris que partout ailleurs ; c’est le propre pays de l’improvisation, et la vie littéraire y est ainsi faite que les esprits les plus réservés y sont souvent condamnés à écrire et à dogmatiser prématurément. Pour choisir dans quelque doctrine de l’antiquité l’objet d’une longue et persévérante étude, il faut aimer la science avec désintéressement, et préférer la solidité à l’éclat. Ces mémoires, ces discussions savantes, sont, pour la plupart, des productions presque irréprochables. On doit en faire honneur à cette école de philosophie qui, réclamant avant tout l’indépendance de la pensée, s’efforce en même temps de ramener les esprits à l’histoire, pour éclairer la liberté et non pour l’entraver ou la détruire. Nous ne connaissons pas toutes nos ressources ; combien de manuscrits restent enfouis, qui mériteraient d’être publiés, ou qui du moins fourniraient des matériaux pour l’histoire et peut-être des lumières pour la science ! Combien d’abbayes célèbres dans le moyen-âge n’ont pas encore eu d’historiens ! La spéculation offre plus d’attraits que l’histoire, mais c’est l’histoire qui est la véritable école de la spéculation, c’est en étudiant avec sincérité, avec fidélité, la pensée d’un homme célèbre, qu’on apprend à approfondir les questions, à en apercevoir les phases et les conséquences diverses, à les juger impartialement en cessant de se préoccuper des intérêts de son temps et du point de vue particulier à son pays et à son siècle. L’impartialité ne s’acquiert que par les études historiques : elles donnent à l’esprit cette paix et cette sérénité sans laquelle le caractère propre de la philosophie ne se retrouve plus. On parle tant aujourd’hui d’avenir et de progrès, que tout le monde aspire à renouveler et à changer ; mais il n’y a de table rase que dans la pensée des uto-