Page:Revue des Deux Mondes - 1842 - tome 30.djvu/868

Cette page a été validée par deux contributeurs.
862
REVUE DES DEUX MONDES.

Nous retrouverons tout à l’heure quelques-uns des résultats de son expérience retracés sous voile dans un roman, et nous serons là plus à l’aise du moins pour les faire ressortir.

Une particularité essentielle et, pour ainsi dire, historique, reste à noter : Mme de Rémusat fut une des personnes qui, pendant ces premières années, causèrent le plus avec le consul. À quoi dut-elle cette faveur ? Elle-même nous en déduit les raisons non sans quelque raillerie. Elle arrivait simple et franche, avec ses habitudes de conversation aisée, au sein de ce monde de mot d’ordre et d’étiquette où, à ce début, l’on était, en général, assez ignorant et timide. Elle admirait Bonaparte et n’avait pas appris encore à le craindre. Aux brusques questions qu’il adressait, à ses rapides monologues, les autres femmes ne répondaient le plus souvent que par monosyllabes, tandis qu’elle, elle avait quelquefois une pensée et se permettait de la dire. Les premiers jours, cela fit presque scandale et causa grande jalousie : elle dut se le faire pardonner par des lendemains de silence. Mais surtout elle avait mieux encore qu’à répondre, quand Bonaparte pensait tout haut, comme il s’y échappait souvent ; elle savait écouter, elle savait comprendre et suivre ; il était très sensible à ce genre d’intelligence et en savait un gré infini, particulièrement à une femme. Était-ce par hasard qu’il s’en étonnait ? M. de La Mennais, en un récent écrit, d’où l’on tirerait des pensées assurément plus gracieuses, a dit : « Je n’ai jamais rencontré de femme en état de suivre un raisonnement pendant un demi-quart d’heure. » Voilà qui est bien dur, et qui sent la rancune. Bonaparte n’était pas précisément galant et se montrait sévère surtout pour l’esprit des femmes ; mais il n’aurait jamais dit pareille chose : il n’aurait eu qu’à se souvenir de Mme de Rémusat.

Diverses raisons et circonstances arrêtèrent assez tôt ces débuts communicatifs, et mirent comme le signet aux conversations du héros avec la femme spirituelle : d’abord sa propre prudence, à elle-même, une fois éclairée sur le peu de sûreté du lieu ; puis l’étiquette souveraine de l’empire qui étendit son niveau. Sans doute aussi Mme de Rémusat était un esprit trop sérieux, trop actif, pour écouter causer

    qui est véridique est presque toujours terrible. Elle sortit pour les mettre en sûreté chez un ami ; mais, ne l’ayant pas trouvé, elle rentra précipitamment et les jeta au feu. Une heure après, elle en était aux regrets. Ce n’est qu’après la publication de l’écrit de Mme de Staël sur la révolution française qu’elle eut l’idée et le courage de rassembler encore une fois ses souvenirs : à défaut du premier et incomparable récit, ceux qui liront l’autre un jour auront de quoi se consoler.