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bonté demande une sorte de discernement du mal : elle le voit et le pardonne. Mme d’Houdetot ne l’a jamais observé dans qui que ce soit. Nous l’avons vue souffrir à cet égard, souffrir réellement, lorsqu’on exprimait le moindre blâme devant elle ; et dans ces occasions elle imposait silence d’une manière qui n’était jamais désobligeante, car elle montrait tout simplement la peine qu’on lui faisait éprouver. Cette bienveillance a prolongé la jeunesse de ses sentimens et de ses goûts. L’habitude du blâme aiguise peut-être l’esprit beaucoup plus qu’elle ne l’étend ; mais, à coup sûr, elle dessèche le cœur et produit un mécontentement anticipé qui décolore la vie. Heureux celui qui meurt sans être détrompé ! Le voile clair et léger qui sera demeuré sur ses yeux donnera à tout ce qui l’environne une fraîcheur et un charme que la vieillesse ne ternira point. Aussi Mme d’Houdetot disait-elle souvent : Les plaisirs m’ont quittée, mais je n’ai point à me reprocher de m’être dégoûtée d’aucun. — Cette disposition la rendait indulgente dans l’habitude de la vie, et facile avec la jeunesse. Elle lui permettait de jouir des biens qu’elle avait appréciés elle-même, et dont elle aimait le souvenir ; car son ame conservait une sorte de reconnaissance pour toutes les époques de sa vie.

« Par une suite de la même disposition expansive, elle avait éprouvé de bonne heure un goût très vif pour la campagne. Avide de saisir tout ce qui s’offrait à ses impressions, elle s’était bien gardée de ne pas connaître celles que peut inspirer l’aspect d’un beau site et d’une riante verdure ; elle demeurait en extase devant un point de vue qui lui plaisait ; elle écoutait avec ravissement le chant des oiseaux, elle aimait à contempler une belle fleur, et tout cela jusque dans les dernières années de sa vie. Jeune, elle eût voulu tout aimer, et ceux de ses goûts qu’elle avait pu garder sur le soir de ses ans embellissaient encore sa vieillesse, comme ils avaient concouru à parer cette heureuse époque qui nous permet d’attacher un plaisir à chacune de nos sensations.

« … Rentrée dans le monde quand nos troubles cessèrent, elle y rapporta sa bienveillance accoutumée, et chercha à jouir encore des biens qui ne pouvaient lui échapper. Le besoin d’aimer, qui fut toujours le premier chez elle, la conduisit à faire succéder à des amis qu’elle avait perdus d’autres amis plus jeunes qu’elle choisit avec goût, et dont la nouvelle affection la trompait sur ses pertes. Elle croyait honorer encore ceux qu’elle avait aimés, et dont elle se voyait privée, en cultivant, dans un âge avancé les facultés de