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connaît la récompense qui fut réservée aux services de ce grand homme. Après avoir travaillé pendant vingt-deux ans, seize heures par jour, à fonder la fortune de son pays, Colbert mourut épuisé de fatigue, haï du peuple et des grands, et dans la disgrace du maître. Le ressentiment d’une injustice du roi, et la terreur du néant, lui arrachèrent en mourant ces mots amers : « Si j’avais fait pour Dieu ce que j’ai fait pour cet homme-là, je serais sauvé deux fois, et je ne sais ce que je vais devenir ! » Quand il fut mort, le peuple insulta ses restes, et on l’enterra pendant la nuit.

M. d’Audiffret a donné sur l’administration de Colbert des détails pleins d’intérêt. Il en explique toutes les parties. C’est une analyse précieuse pour l’histoire de l’économie financière. C’est de plus un écrit remarquable par la gravité des idées. L’auteur émeut vivement par la manière dont il raconte la destinée de cet homme, qui fut le bienfaiteur de son temps, et qui mourut chargé de la haine publique. Sa disgrace était le sûr présage d’une révolution. La vieille monarchie, en repoussant ce serviteur dévoué, mais gênant, voulait reprendre en toute liberté le chemin de sa ruine. Des ministres complaisans rouvrirent la plaie des abus et des moyens de finances. Pontchartrain qui reprit la vente des offices, amusait le roi en lui disant : « Sire, toutes les fois que votre majesté crée un office, Dieu crée un sot pour l’acheter. » On était déjà bien loin de Colbert ; on s’en éloigna de plus en plus. On arriva enfin au système de Law, qui fut l’extravagance d’un homme de génie, et on passa par les dilapidations de l’abbé Terray, pour tomber dans cet effroyable déficit qui fut une des principales causes de la révolution de 89.

M. d’Audiffret aurait dû joindre à sa notice sur Colbert un aperçu de l’administration financière de la France depuis Colbert jusqu’en 89. Ce travail, venant se placer avant sa notice sur la comptabilité publique, où il montre la situation financière de la France depuis 89 jusqu’à nos jours, eût complété la partie historique de ses livres. C’est une lacune regrettable. On peut aussi reprocher à M. d’Audiffret un peu de confusion dans l’arrangement de certaines matières. Son œuvre pourrait être mieux ordonnée, et conçue d’après un plan plus régulier ; mais M. d’Audiffret n’a pas voulu faire un traité complet sur les finances et sur l’administration : il a voulu seulement mettre en lumière les principes généraux qui régissent nos finances, et exprimer des opinions utiles sur plusieurs points détachés. Considérés sous cet aspect, les travaux de l’honorable pair ont atteint leur but. Personne n’a exposé mieux que lui les règles de la comptabilité financière. On n’a démontré nulle part avec autant de sagacité l’influence des lois politiques sur l’administration du trésor de l’état. M. d’Audiffret a porté dans l’examen de ce sujet une élévation de pensée et une clarté d’expression qu’on voit rarement dans de pareilles matières. Ses vues de réforme partent d’un sentiment que tous les amis de l’ordre approuveront. M. d’Audiffret veut fortifier le pouvoir, et mettre ses moyens d’action au niveau de sa responsabilité. Les critiques de l’auteur du Budget sur le ministère des finances ont blessé, dit-on, des susceptibilités ;