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REVUE MUSICALE.

LE FIDELIO DE BEETHOVEN.

C’était vers la fin de 1804 ; Beethoven, dans toute la force de la jeunesse, venait de publier son oratorio du Christ au mont des Oliviers, lorsque le baron de Braun, nouveau directeur du théâtre impérial de Vienne, lui proposa d’écrire un opéra, persuadé, disait-il, que les grandes qualités dont il avait fait preuve dans la musique instrumentale, ne manqueraient pas de se révéler sous un jour nouveau dans le style dramatique. Outre une somme d’argent fort honorable, le logement au théâtre lui fut offert. Il ne s’agissait plus que de choisir un poème ; on se décida pour l’Amour conjugal, larmoyante élucubration de M. Bouilly, mise en musique par Gaveaux et aussi par Paër, qui l’avait produite en Italie sous le titre de Leonora.

Je me suis toujours demandé comment Beethoven, avec son génie excentrique, impatient, vagabond dans son essor comme l’aigle, avait pu s’inspirer d’une aussi pauvre ébauche, d’une anecdote bonne tout au plus à fournir le sujet d’un vertueux mélodrame du vieux temps. Évidemment ici le musicien céda au pathétique de l’idée, et vit du premier coup, dans cette fable prosaïque et bourgeoise, toute la poésie d’émotion et de larmes qu’il y a mise ; peut-être encore doit-on supposer qu’il prit tout simplement tel quel, sans trop y réfléchir d’avance, le chef-d’œuvre que son poète lui donnait. En général, les grands maîtres, les hommes de génie, n’apportent guère, dans le