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style. La Bibliothèque du roi possède un manuscrit de huit cents pages tout rempli de ce fatras mystique. M. Génin remarque qu’il fallait que Marguerite eût reçu de la nature une grande solidité de jugement pour n’avoir pas été gâtée à jamais par cette longue fréquentation d’un rhéteur de la force de Guillaume Briçonnet. Mais cette observation, qui est à la décharge de Marguerite, s’applique aussi à l’évêque de Meaux. Ce singulier prédécesseur de Bossuet, comme l’appelle M. Génin, ne délirait que dans cette correspondance et sur ce sujet ; ailleurs, c’était un personnage éminent en science et en vertus. Guillaume Briçonnet avait porté d’abord le nom de comte de Montbrun ; puis, quand il eut assez de la vie du siècle, il s’était fait prêtre à l’exemple de son père. Il obtint la confiance de Louis XII et celle de François Ier, fut deux fois ambassadeur extraordinaire à Rome, prononça devant le sacré collége l’apologie de Louis XII, dans laquelle il osait attaquer l’empereur Maximilien. Il représenta la France aux conciles de Pise et de Latran. Pourvu de l’abbaye de Saint-Germain-des-Prés, il réforma les abus qui s’y étaient glissés et fit des augmentations considérables à la bibliothèque, car il aimait, cultivait et protégeait les lettres. On a de lui quelques ouvrages de théologie ; Vatable lui dédia la traduction de la Physique d’Aristote et Lefebvre celle de la Politique. On voit que Briçonnet, comme Marguerite, ne divaguait que sur le fait d’une espèce de théologie mystique. Sages sur le reste, ils avaient, comme don Quichotte, un côté vulnérable dans l’intelligence, un point sur lequel le sens les abandonnait, et dès-lors ils se lançaient dans un galimatias absurde et sans terme. L’époque où l’on vit a une grande influence sur la nature de ces points faibles, influence qu’il faut savoir apprécier, et qui diminue grandement la gravité des aberrations partielles dont les meilleurs esprits ont offert des exemples. C’est une considération qu’on ne doit pas perdre de vue quand on lit la biographie de plus d’un personnage illustre.

M. Génin a rempli avec un soin scrupuleux tous ses devoirs d’éditeur. Un livre ancien (et plus le livre est ancien, plus cela est vrai) contient toujours une multitude de détails, de locutions, d’allusions, de faits qui, parfaitement clairs pour les contemporains, sont fort obscurs pour nous, qui sommes en ce moment la postérité en attendant que nous fassions place à d’autres. Rien ne s’entend plus à demi-mot. C’est cette ignorance des notions communes au milieu desquelles le livre a été composé, qui rend tout ouvrage ancien plus ou moins difficile à lire. On peut dire qu’il nous transporte dans un milieu