l’on pourrait s’étonner de le voir méconnu, si l’on ignorait combien, en fait de critique, les traditions sont vivaces et routinières, et quelle est parfois la légèreté des juges les plus respectables aux yeux du public. Il en conclut que les Nouvelles de la reine de Navarre sont, à tout prendre, plutôt une suite de contes moraux, où une anecdote, une histoire véritable, un bon mot, fournissent à la conteuse le texte de la moralité.
Que l’intention de la reine Marguerite ait été telle que le dit M. Génin, c’est ce dont on ne peut guère douter quand on a parcouru ces Nouvelles ; mais que le jugement qu’en a porté un autre siècle ait été aussi arbitraire et capricieux que le suppose l’éditeur des Lettres de Marguerite, c’est ce qu’à mon avis cette même lecture empêche d’admettre. Il y a eu une méprise causée par la différence des habitudes, et la forme a emporté le fond. Au XVIe siècle, la conversation familière entre personnes bien élevées, comme on peut le voir dans Brantôme et dans les Nouvelles de la reine de Navarre, et la chaire, comme en font foi certains sermons conservés de ce temps, comportaient une liberté dans les termes, une crudité dans l’expression, que les siècles suivans ont rejetée comme grossière et de mauvais goût. Boileau, dans un vers souvent répété, a dit :
Rien de plus faux que cette sentence ; le latin ne brave l’honnêteté que dans des livres comparables à ceux où le français brave aussi l’honnêteté. Du reste, le latin était aussi chaste que le français d’aujourd’hui. Mais la sentence de Boileau s’appliquerait mieux à certaines parties du français du XVIe siècle, où ni les habitudes ni le goût ne repoussaient un langage aujourd’hui relégué. Brantôme dit « Marguerite fit en ses gayetés ung livre qui s’intitule les Nouvelles de la royne de Navarre, où l’on y void un style doux et fluant, et plein de beaux discours et de belles sentences. » Ce qui était des gayetés au XVIe siècle était devenu des libertés dans un autre âge, sous l’empire d’autres idées et d’autres mœurs ; de là le jugement porté. Entre le style gay de la reine de Navarre, qui a dû donner le change du moment qu’on ne s’est pas reporté à son époque, et les beaux discours et belles sentences qu’elle a semés dans les Nouvelles, se place l’intention que revendique M. Génin à juste titre, et qui en définitive fait le caractère du livre. Au reste, ce livre est, comme les choses originales, dicté par une inspiration unique, et la conteuse s’est également complu en ses histoires gaies et en ses réflexions morales.