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REVUE DES DEUX MONDES.

Quelques années plus tard, un religieux et un prêtre étaient assis dans les jardins du monastère de Notre-Dame-des-Gradi, sous les cyprès séculaires à l’ombre desquels fleurissaient les roses empourprées, les myrtes odorans dont se couronnaient autrefois les vierges païennes. Les clartés du crépuscule s’effaçaient à l’occident, et de longs rayons d’un pourpre pâle, glissant sur les dômes du monastère, le couronnaient comme d’une auréole de lumière. Les brises qui soufflaient du côté des champs romains et qui avaient passé sur tant de ruines, apportaient sur leurs ailes les parfums ravis aux jardins de la ville éternelle ; mais le religieux, absorbé dans une triste méditation, ne tournait pas son visage à ces douces fraîcheurs ; ses regards erraient, distraits, sur le paysage immense ; tous ses sens restaient insensibles aux influences de cette belle soirée. À son aspect, on comprenait qu’il y avait en lui quelque chose d’inaccessible à l’action des circonstances extérieures, et qu’il était de ceux qui sont condamnés à sonder continuellement leurs maux comme un gouffre sans fond d’où ils ne peuvent détourner leurs regards. Son visage amaigri, mais d’une beauté encore frappante, avait une pâleur mate et laissait apercevoir, comme un vase d’albâtre éclairé d’une flamme intérieure, la secrète pensée qui dévorait sa vie. Ses yeux ne rayonnaient pas de ces feux inquiets d’une ame qui, dans l’angoisse des plus profondes douleurs, a cependant encore des élans d’énergie, des momens de consolation et d’espérance ; ils étaient fixes et semblaient regarder en dedans.

Le prêtre contemplait ce morne visage d’un air navré de compassion et de douleur. Bientôt un autre religieux et un vieillard vinrent rejoindre ce groupe, et leurs têtes vénérables s’inclinèrent vers le jeune moine avec une expression de tristesse, d’inquiète sollicitude.

— Mon fils, dit enfin le marquis de Blanquefort, pourquoi m’avez-vous obligé à vous amener ici ? Pourquoi avez-vous une seconde fois revêtu cet habit avec lequel vous ne pouviez reprendre ni l’espérance ni la foi ?

— Hélas ! mon père, répondit Estève, parce qu’à une vie comme la mienne il fallait ce suaire et ce tombeau !

Mme Ch. Reybaud.