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LETTRES DE CHINE.

trices du capitaine Elliot durent être singulièrement encouragées par le désir d’éviter, à moins de nécessité absolue, un nouveau massacre auquel l’absence d’un danger sérieux enlevait, pour ainsi dire, tout reflet de gloire ; si on se préoccupe de toutes ces considérations, dis-je, on aura peine à blâmer le capitaine Elliot.

Cependant Keschen publiait, le 11 janvier, trois jours après la conclusion de l’armistice, une proclamation relative à l’attaque des forts ; la victoire, disait-il, est restée indécise, et aujourd’hui la discorde est au milieu des Anglais. Il recommandait la plus grande surveillance afin d’empêcher qu’aucunes provisions fraîches n’arrivassent à l’escadre, menaçant des plus sévères châtimens, dans leurs personnes et celles de leurs familles, tous ceux qui se livreraient à ce trafic. D’un autre côté, le préfet du district dans lequel est situé Macao faisait connaître que les mesures prises par les hauts officiers n’étaient pas applicables à cette colonie, que les anciens prix devaient être maintenus ; il attribuait aux spéculations d’avides commerçans la hausse du prix du blé, et promettait de les poursuivre avec la dernière rigueur. Vous voyez, monsieur, qu’il y a en Chine comme partout des accapareurs, et que là aussi le gouvernement sait protéger la population contre leur cupidité.

À cette époque se passa, dans la rivière de Canton, un fait qui a une trop haute importance commerciale pour que je n’en fasse pas mention. Deux navires américains, entrés en rivière le jour même où le blocus fut mis à exécution, obtinrent des autorités anglaises la permission de sortir de la rivière avec un chargement évidemment pris après la déclaration du blocus. Cette permission était contraire à toutes les lois qui régissent la matière ; elle enlevait à l’action du blocus ce qui rend une mesure de cette nature presque justifiable, la sainteté et la rigoureuse exécution des engagemens envers chacun et envers tous. Voici sur quels motifs M. Elliot basait l’adoption d’une mesure qu’on a droit, à mon avis, de lui reprocher.

1o  Le but qu’on s’était proposé, en bloquant le port de Canton, était de priver le gouvernement chinois des droits qu’il percevait sur le commerce d’importation ; pousser les effets du blocus jusqu’aux dernières limites, empêcher toutes communications, même celles du cabotage, c’eût été enlever aux sujets de sa majesté toute chance d’approvisionnement.

2o  Les deux navires précités, étant entrés le jour même où avait commencé le blocus, avaient un droit manifeste à l’indulgence du commandant en chef, dès le moment qu’ils déclaraient n’avoir à bord aucune propriété chinoise.

3o  La population de Macao dépendait des Chinois pour sa subsistance. Ce motif d’exception aux règles du blocus, motif dont la validité ne pouvait être niée par personne, avait fait aux agens anglais une nécessité de laisser ouvert le passage intérieur. Le résultat de cette exception avait été qu’un commerce considérable de contrebande s’était établi entre Canton et Macao, commerce dont avaient profité les navires de toutes les nations, anglais, américains, etc.

4o  Les choses ainsi posées, pouvait-on mettre dans une condition moins favorable les navires qui se trouvaient, à l’époque du blocus, dans les eaux