Page:Revue des Deux Mondes - 1842 - tome 30.djvu/74

Cette page a été validée par deux contributeurs.
68
REVUE DES DEUX MONDES.

dans quelques ames, de vivre dans la compagnie de Platon et d’Aristote, de Descartes, de Kant, de Malebranche, de Leibnitz ; de n’avoir pas regret à cette ardeur, à cet emportement de jeunesse dont il veut profiter, dit-il, et qu’il sent s’éteindre en lui chaque jour. Qu’il ne le craigne pas, son inspiration est trop vraie pour ne pas être durable : il n’a nul besoin de s’emparer de l’occasion et de jeter tout son feu du premier coup. Avec l’élévation de son cœur et de sa pensée, qu’il étudie les maîtres, qu’il s’étudie lui-même, qu’il attende, et, au lieu de ces épisodes sans fin, de ces lieux communs, de ces discussions contre des adversaires qui n’existent pas, il nous donnera un ouvrage digne de lui, où il embrassera moins de sujets, mais où il aura su choisir et approfondir.

Le livre de M. Saint-Bonnet est le coup d’essai d’un jeune homme plein d’ardeur qui n’a guère vécu qu’en province. M. Bautain nous donne dans sa Psychologie et sa Morale les fruits d’une expérience que de graves études et une destinée agitée ont dès long-temps mûrie. Tout le monde sait que M. Bautain est un élève de l’école normale, et qu’il y a été le condisciple de M. Damiron et de M. Jouffroy. Envoyé à Strasbourg au sortir de l’école, c’est-à-dire, si je ne me trompe, en 1815 ou 1816, M. Bautain y est resté jusqu’à l’année dernière, et il est encore en ce moment le titulaire de la chaire qui a été quelque temps occupée par M. Ferrari. Pendant ce long intervalle, M. Bautain a constamment refusé de quitter Strasbourg pour venir enseigner la philosophie à Paris, à côté de son premier maître et de ses anciens condisciples. Mais, si sa vie extérieure ne présente aucun évènement, il n’en est pas de même de l’histoire de sa pensée. Arrivé à Strasbourg avec des doctrines spiritualistes, au moment où il vient à Paris se livrer à la prédication, M. Bautain est prêtre, et chef d’une école mystique.

On ne le sait pas à Paris ; mais, à Strasbourg, M. Bautain est chef d’école. Il y a opéré des conversions dont quelques-unes ont eu des suites miraculeuses ; il a failli y causer un schisme, et son évêque s’est cru obligé de le réfuter. M. Bautain a voué sa vie à la composition d’un traité complet de philosophie dont il a fait paraître la préface en 1833, et les deux premiers volumes six ans plus tard sous ce titre : Psychologie expérimentale[1]. La publication de la préface de M. Bautain fit une certaine sensation dans le monde philosophique. On savait l’importance et le succès de son enseignement ;

  1. Strasbourg, chez Derivaux.