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LETTRES DE CHINE.

de régler d’une manière satisfaisante le différend avec le céleste empire. Sir Gordon Bremer reprit dès-lors le commandement de l’escadre. Cet avis est du 29 novembre 1840. Il fut accueilli par la communauté anglaise comme on devait s’y attendre. On désespéra du succès dès qu’on sut qu’il devait uniquement dépendre des efforts du capitaine Elliot. Les faits ne tardèrent pas à prouver que ces craintes n’étaient pas sans quelque apparence de fondement.

Au milieu du récit d’évènemens aussi graves, je ne puis, monsieur, m’empêcher, malgré l’inconvénient que je trouve à y introduire des discussions personnelles, de vous dire quelques mots du capitaine Elliot, qui, pendant plus d’un an, tint dans ses mains les destinées d’une question à laquelle chaque jour le monde devra porter un intérêt plus raisonné et plus direct.

On a beaucoup calomnié M. Elliot en Chine ; sa conduite a souvent été présentée sous de fausses couleurs. La presse de Macao a été plus souvent encore injuste à son égard. On n’a pas assez tenu compte des difficultés sans nombre qu’il eut à vaincre, et dont la moindre n’était pas l’opposition qu’il rencontrait chez ses compatriotes. M. Elliot est un homme de cœur ; personne n’oserait mettre en doute son intégrité ; il n’a qu’un seul défaut, et ce défaut était très grand dans sa position : il n’a pas assez de calme dans l’imagination, et il est trop plein d’honneur pour avoir pu lutter à forces égales contre les diplomates chinois. Il a eu le malheur de croire qu’il pouvait y avoir chez eux un peu de sincérité, et il s’est trompé. M. Elliot a longtemps résidé en Chine ; on prétend qu’il connaît les Chinois. Mais cette connaissance n’est que superficielle ; il a étudié leurs usages, et, dans le cours des négociations qu’il a eues avec eux, il paraît qu’il mettait une certaine affectation à les imiter, à les saluer à leur manière, par exemple. C’était une prétention sans importance réelle, et qui ne pouvait que lui nuire en enlevant quelque chose à sa dignité. Le capitaine Elliot aurait dû rester Anglais dans ses manières comme dans son langage, au lieu de caricaturer ses antagonistes. Ses communications écrites avec les autorités chinoises sont aussi empreintes d’un caractère d’humilité peu convenable. C’était un mauvais moyen de réussir avec des hommes aussi vains que les Chinois. Le plénipotentiaire anglais, appuyé par une flotte imposante, était assez fort pour demander justice comme il convient au représentant d’une grande nation, c’est-à-dire avec modération, mais avec fermeté et énergie. Supplier, pour ainsi dire, dans sa position, c’était augmenter la présomption des autorités chinoises, c’était leur donner l’audace de la résistance, qu’elles auraient peut-être eue à un moindre degré sans cela. Les invectives de la presse ont, d’ailleurs, contribué à rendre sa situation plus mauvaise. Le côté faible de toutes les mesures qu’il croyait devoir prendre était immédiatement signalé par les journaux de Canton, dont la traduction arrivait fidèlement sous les yeux des autorités supérieures de la province. Ces lettres si violentes dont leurs colonnes étaient remplies, ces menaces journalières, cette discussion publique du pour et du contre sur tout ce qu’il entreprenait, devaient singulièrement nuire à son influence auprès de ces autorités. Telles sont, monsieur, les cir-