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naître un peu les Chinois pour apprécier la surprenante élasticité de leur caractère et l’habileté avec laquelle ils savent manier cette arme la plus puissante de la diplomatie, la dissimulation.

Le premier acte du capitaine Elliot, après son arrivée, fut de porter lui-même aux forts du Boca-Tigris une lettre par laquelle il annonçait à Keschen, qui du reste n’était pas encore ostensiblement à Canton, l’arrivée des plénipotentiaires. C’était à la fois une démarche imprudente et, à mon avis, peu en rapport avec la position qu’occupait le capitaine Elliot : imprudente, car la lettre fut portée par un bateau à vapeur qui, s’approchant d’une forteresse, devait exciter l’inquiétude de ceux qui la défendaient ; peu digne, car cet empressement du capitaine Elliot d’aller en personne annoncer son arrivée devait avoir pour résultat de le placer moins haut dans l’opinion de ceux avec qui il avait à traiter. Le fort fit feu sur l’embarcation du bateau à vapeur, malgré le pavillon parlementaire qu’elle portait, et, lorsque l’embarcation se retira, sur le bateau à vapeur lui-même ; celui-ci rendit coup pour coup et s’éloigna. Cette circonstance prouverait d’abord que la leçon infligée à la ville de Ning-po, au sujet de l’inviolabilité du pavillon parlementaire, n’avait pas porté son fruit, puis que la nouvelle de l’armistice n’était pas encore arrivée à Canton, ou que les Chinois n’ont pas, sur les devoirs imposés par une trêve entre deux parties belligérantes, les mêmes idées que nous. C’était, dans tous les cas, un mauvais début. Le capitaine Elliot vint ensuite à Macao et remit au maire de la ville sa lettre pour Keschen. Le quiproquo de l’affaire du Boca-Tigris fut expliqué et rejeté sur l’ignorance du commandant du fort. La chose en resta là.

À cette époque, la communauté anglaise demanda officiellement à l’amiral Elliot d’être instruite de ce qui avait été fait à Teent-sin. L’intérêt du commerce l’exigeait, alléguait-elle. Le blocus de la rivière de Canton serait-il maintenu ou levé pendant les négociations qu’on annonçait comme devoir bientôt commencer ? Les marchandises anglaises devaient-elles être conservées à bord des navires qui les avaient apportées, ou fallait-il les débarquer à Macao ? L’amiral exprima le regret qu’il éprouvait de ne pouvoir répondre qu’à une seule de ces demandes. La trêve conclue à Pechili l’avait été avec le gouverneur de cette province, et les effets de cet armistice ne s’étendaient pas au-delà des limites de ce gouvernement. Cette déclaration expliquerait la négociation de l’amiral à Ning-po, mais alors que devient l’édit de l’empereur que j’ai cité plus haut ? C’était assez dire du reste que, dans la rivière de Canton, les choses resteraient sur le même pied qu’avant le retour de l’escadre. Le commerce dut sentir que le moment des compensations n’était pas encore arrivé.

Ce fut là le dernier acte de l’amiral Elliot dans l’accomplissement de la mission qu’il avait reçue de son gouvernement. Très peu de jours après, un avis du capitaine Elliot annonça que, la santé de l’amiral exigeant son prompt retour en Europe, cet officier-général allait immédiatement quitter la Chine, et que lui, capitaine Elliot, allait rester chargé de l’immense responsabilité