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« Il est évident, ajoute-t-il, que nous ne pouvons combattre les Anglais sur mer. Nous devons, en conséquence, nous tenir sur la défensive. C’est ainsi que nous pourrons les harasser.

« Si nos mesures de prohibition contre l’opium ont amené sur le territoire céleste des soldats anglais, ce sont eux (les Anglais) qui, dans la perverse corruption de leur cœur, ont les premiers apporté ce poison parmi nous. Si nous ne prenons pas de mesures aujourd’hui pour les réprimer, nous serons obligés d’en prendre dans un temps plus ou moins éloigné. Nous devons donc considérer si la tâche sera plus pesante alors qu’aujourd’hui. »

Ici Lin emploie une fleur de rhétorique trop chinoise pour que je la traduise littéralement. Il compare le fléau de l’opium à une tumeur, et la suit dans tous ses degrés, facile à guérir au commencement, demandant plus tard des remèdes énergiques.

« On a dit, ajoute-t-il, que nos vaisseaux et nos canons ne sont pas égaux aux leurs, qu’on a laissé écouler trop de temps, et qu’il faut nous efforcer d’arranger, d’une manière ou d’autre, nos différends avec eux ; mais je connais trop bien le caractère insatiable et envahisseur des Anglais. Donnez-leur un pouce, ils prendront une aune. Si vous ne les arrêtez pas, dès le principe, par le déploiement d’une majesté terrible, il est impossible de prévoir où ils s’arrêteront dans leur vicieuse carrière. Il ne faut pas oublier non plus que d’autres nations peuvent marcher sur leurs traces. »

Lin propose alors d’employer une partie des revenus produits par le commerce étranger de Canton à fabriquer des canons et des vaisseaux sur de nouveaux modèles. « C’est ainsi, dit-il, que le mal lui-même fournira le remède qui doit le guérir. »

Ce mémoire, dont je ne vous ai traduit qu’une très petite partie, est généralement écrit sans tout cet attirail de phrases et de rodomontades qui distinguent les documens chinois. C’est l’œuvre d’un homme de sens qui a vu et comparé, et qui, animé du désir de servir son pays, veut profiter, dans ce but, des leçons qu’il a reçues de l’expérience. Nous verrons plus tard de quelle récompense son souverain a payé son dévouement. En attendant, tout le monde s’accorde à dire que Lin était loin d’être un homme ordinaire ; merveille presque sans exemple parmi les hauts fonctionnaires chinois, il a montré qu’il était incorruptible. Beaucoup moins fin et moins rusé que Keschen, doué cependant d’un esprit fort et persévérant, Lin aura peut-être, par l’exercice des qualités qui le distinguent, attiré sur son pays une catastrophe qui ébranlera le monde, et sur sa tête une terrible responsabilité ; mais, le premier, il aura cherché à enlever le bandeau qui cachait à son gouvernement la supériorité de son ennemi, et les évènemens auront justifié sinon sa conduite, du moins ses prévisions.

Grand fut le désappointement quand on apprit, dans la rivière de Canton, le résultat de l’expédition au golfe de Pechili. Qu’avait fait cette escadre dont on espérait tant ? Elle s’était fait repousser à Amoy et à Ning-po ; elle avait pris Chusan, il est vrai, mais déjà les espérances que la prise de cette île avait