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DU MOUVEMENT PHILOSOPHIQUE.

lui déguise rien ; il fait avec lui des digressions interminables ; il ne soigne pas son style pour lui plaire ; si ce style est ordinairement chaleureux et élevé, c’est que cela se trouve ainsi, sans qu’il y songe, par le bénéfice de sa nature ; il ne recherche ni les agrémens ni la concision ; un écrivain exercé ferait deux chapitres de chacun de ses volumes, et ne supprimerait rien d’important. On a si vite aujourd’hui deviné celui qui parle, sur son premier mot ! Quand M. Saint-Bonnet, dont l’érudition est presque nulle, rencontre dans un philosophe de second ordre une opinion qu’il adopte, il le cite naïvement, sans s’excuser de mettre en scène pour si peu un personnage de cette importance. M. Buchez, M. Leroux, et d’autres qui n’ont pas même l’excuse d’une célébrité bien ou mal acquise, deviennent des autorités pour M. Blanc Saint-Bonnet, qui ne s’aperçoit pas que sa propre autorité aurait plus de poids pour tout homme de sens qui aura parcouru son livre. S’il lui arrive de lire un ouvrage médiocre, justement ignoré de tous, et que la presse dédaigne de réfuter, il le prend à partie et le discute comme s’il s’agissait de l’opinion la plus considérable. Un chapitre est intitulé : Ch. Comte et Aristote ; un autre est consacré à la discussion des systèmes métaphysiques de M. Granier de Cassagnac. L’auteur écrit sans sourciller : Opinion de Fénelon, de M. Cousin et de M. Noirot, sur la fonction et le caractère de la raison. Cette habitude d’étudier et de citer de petits hommes et de petits écrits est un travers commun à beaucoup de nos philosophes. Ils liront Aristote dans quelque méchant sommaire rédigé par un moine à demi barbare, ils étudieront Platon dans je ne sais quel dictionnaire soi-disant philosophique ; mais qu’il paraisse quelque brochure humanitaire sans idées, sans style, sans érudition, pourvu qu’on y fasse la guerre à l’éclectisme et à la psychologie, qu’on y vante le christianisme tout en proclamant les plus grossières hérésies, et qu’il y soit question à chaque page du progrès et de l’avenir de l’humanité, ils la dévoreront d’un bout à l’autre et la citeront à tout propos et hors de propos. C’est fort bien pour nos docteurs sexagénaires, qui ont publié leurs œuvres, fondé leur école, donné leur mesure, et dont par conséquent nous n’avons plus rien à attendre ni à craindre. Pour M. Saint-Bonnet, qui a du talent et de l’avenir, pour lui qui fait de la science parce qu’il l’aime et qu’il la comprend, si nous avions à lui donner des conseils, ce serait de laisser là tout ce bagage, d’abandonner aux partis politiques, à la suite desquels ils se traînent, ces ignorans présomptueux dont tous les travaux n’ont abouti qu’à porter le désordre et le trouble