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dans la pensée du plénipotentiaire anglais de rendre le blocus de la rivière de Canton aussi effectif que ses moyens lui permettaient de le faire. Qu’est-ce que Canton en effet ? C’est un marché qui ne sert d’écoulement qu’à une partie comparativement insignifiante des produits de l’empire céleste. Que reçoit-il en échange ? Laissons même de côté le commerce d’opium : des objets dont il peut se passer à la rigueur. Il est évident que le commerce avec l’étranger n’est que d’une très faible importance pour un pays comme la Chine, dont les ressources sont toutes intérieures, et qui, par sa politique comme par sa position, n’a que des relations très restreintes avec l’étranger. D’un autre côté, le gouvernement chinois vit-il des revenus que produit le commerce de Canton ? Ces revenus sont-ils pour lui une ressource indispensable ? Je crois qu’on peut répondre négativement à ces deux questions. Le commerce de Canton n’est donc en général, pour la population de l’empire et pour le gouvernement, que d’une utilité secondaire. En est-il de même pour l’Angleterre du commerce avec la Chine ? Non, car l’Angleterre est une nation qui vit de son commerce, et qui, certes, aujourd’hui, en vit sans superflu. Qu’une branche de ce commerce périsse, et tout le corps social doit éprouver un malaise d’autant plus grand que cette branche était plus productive. De plus, la Grande-Bretagne prend en Chine, en échange des denrées qu’elle y apporte, un objet devenu pour elle de première nécessité. Enlever le thé à l’Angleterre, ce serait une calamité publique tout aussi désastreuse que si la population de la France se trouvait tout à coup privée de vin. Ajoutez à cela ce que je vous ai déjà dit, que l’importation des marchandises chinoises en Angleterre paie une très grande partie de son budget, et vous reconnaîtrez aisément quels intérêts devait blesser le blocus de la rivière de Canton. Il n’est pas douteux que ces considérations ont dû avoir une immense influence sur les décisions du gouvernement britannique et sur les instructions données par lui à ses agens.

D’après tout ce qui a été publié par la presse anglaise, surtout d’après les discussions qui ont eu lieu au sein du parlement, il est évident que la Chine était encore, il y a deux ans, très peu connue en Angleterre. Le gouvernement devait, si on en juge par les mesures qui avaient été prises et par le langage du ministère, être dans une ignorance plus grande encore que le public anglais des hommes et des choses de la Chine. Deux pensées toutefois semblent l’avoir préoccupé dans le principe : l’honneur national outragé et le danger de compromettre une branche importante du revenu public. Il faut aussi se rappeler que, lorsque le projet d’envoyer une expédition en Chine fut connu en Angleterre, l’opinion publique s’éleva assez généralement, soit contre l’immoralité, soit contre le danger d’une pareille guerre. J’ai déjà dit que le ministère anglais n’avait triomphé sur cette question au parlement que par le désintéressement d’un grand citoyen. Cette circonstance rendait la responsabilité du gouvernement plus grave que jamais. La discussion dans la chambre des communes et dans la chambre des lords dut jeter une nouvelle lumière sur une question qu’on n’avait jamais bien approfondie jusque-