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et la philosophie sont perdues si l’on ne regarde comme une proposition démontrée, que Dieu est à la fois un seul Dieu et trois personnes. En vérité, si les théologiens peuvent se plaindre que l’invasion de la raison dans le domaine de la foi ait produit les hérésies et porté le trouble dans l’église, nous avons le droit de gémir à notre tour de cette importation et de ce travestissement des dogmes religieux. C’est un scandale pour la foi ; c’est une décadence pour la raison.

Une nouvelle théologie, un nouveau système du monde, un plan nouveau de la nature humaine, voilà ce que M. Saint-Bonnet nous apporte, et il n’a que vingt-cinq ans ! Rien n’effraie ces jeunes ames que ni l’expérience de l’histoire ni celle du monde n’a encore effleurées. Toutes les richesses qui leur poussent de leur propre fonds les enchantent elles-mêmes : elles ne voient ni les difficultés ni les conséquences fatales. Elles ne savent pas que ces mêmes principes qui leur semblent si nouveaux ont déjà vécu des siècles, qu’ils font partie de notre héritage philosophique, ou que la discussion les a réfutés et détruits. M. Blanc Saint-Bonnet, dans son ouvrage qui n’aura pas moins de six énormes volumes, parcourt le monde entier de la science avec une bonne foi sans exemple, portant partout la main, refaisant toutes choses, n’hésitant jamais, ayant un parti pris sur tous les points. Il ignore ces grandes luttes des systèmes philosophiques dont le spectacle, en attristant quelquefois l’ame du philosophe, mûrit et éclaire toujours sa pensée, en tempère les hardiesses, en règle, en assure l’élan. Il oublie ces grands esprits qui ont perdu la raison pour avoir envisagé de trop près de tels problèmes, tant d’autres qui ont perdu la foi et sont devenus sceptiques ; les guerres allumées, les persécutions souffertes, et tout ce martyrologe philosophique qui nous étale pendant tant de siècles une si lamentable histoire. Le public même n’existe pas pour lui, ou du moins il ne soupçonne guère ce public indifférent, blasé, grand seigneur, faisant de la philosophie ou un objet de dédain, ou, ce qui est encore pis, un passe-temps ; ni cet autre public plus instruit, initié aux secrets de la science, mais dévoué à ses propres idées, ayant fait de son côté son siége et disposé tout son ordre de bataille, et considérant comme un ennemi quiconque, avec des idées nouvelles, entreprend de porter le désordre dans des rangs si bien alignés. Le lecteur de M. Blanc Saint-Bonnet n’est pas un ennemi, c’est un disciple ; ce n’est pas un indifférent, c’est un esprit jeune, ardent, passionné, que l’auteur a fait à son image. Il aime son lecteur, il le prend pour confident, il ne