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prit d’un observateur, se déploie toute la puissance de déduction d’un logicien, se révèle tout le talent d’un écrivain qui sait exposer les principes les plus abstraits et les plus arides avec une éminente clarté et une élégance exquise, ces livres, publiés coup sur coup, étendirent la réputation déjà si grande de M. de Tracy.

Il fit en 1806 un dernier ouvrage qui contenait sa politique, et qui alors ne pouvait pas voir le jour. Cet ouvrage était un commentaire du grand livre que son auteur, dans un élan de légitime orgueil, appela une création sans modèle, prolem sine matre creatam, et dont Voltaire, si disposé à flatter ses inférieurs et à ne pas rendre toujours justice à ses égaux, n’hésita point à dire que « le genre humain ayant perdu ses titres, Montesquieu venait de les retrouver et de les lui rendre. » Du siége d’un parlement, du sein d’une monarchie, du milieu d’un siècle voué à l’amour des théories et dès-lors à l’inimitié de l’histoire, s’était élevé un homme d’un esprit vaste et serein, d’un jugement ingénieux et profond, qui, portant son regard tranquille et pénétrant sur tous les siècles et sur tous les peuples, s’était fait en quelque sorte le contemporain de tous les âges, l’habitant de tous les climats, le citoyen de tous les pays, le sujet de tous les gouvernemens pour en être mieux le juge ; un homme à qui, par un rare privilége, l’histoire avait tenu lieu de pratique, et le génie d’expérience. C’est ainsi que, parcourant les diverses institutions sociales, saisissant le principe de leur vie, donnant la raison de leur forme, suivant la marche de leur développement, signalant la cause de leur décadence, surprenant le germe de leur mort, Montesquieu avait montré que, dans ces grands êtres appelés états, une organisation harmonieuse provient de leur nature même pour les aider à répondre à leur destination ; que tout se tient en eux, et la volonté qui les dirige et l’action qui les développe, et l’éducation qui les continue et les vertus qui les élèvent, et les vices qui les tuent, et, sur la solide base de l’expérience universelle, il avait fondé le monument impérissable de l’Esprit des Lois.

Tout en exposant les diverses législations humaines, il avait donné cours à ses préférences, et les droits des peuples avaient trouvé en lui un soutien imposant. Le système politique d’un pays voisin qui semblait réunir tous les élémens de la société et satisfaire à toutes ses conditions, où la perpétuité de l’ordre, la permanence des intérêts, le mouvement progressif des améliorations, étaient représentés par des pouvoirs obligés de s’entendre et conduits invinciblement à se concerter pour agir, où l’exécution des lois était sage-