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de l’homme, et, expliquant l’intelligence par la physiologie, rendait la vie une simple conséquence de l’organisation, et fondait uniquement la théorie de la pensée sur le mécanisme nerveux du cerveau.

Au moment où M. de Tracy se livrait à ces paisibles études, il fut sur le point de rentrer dans la carrière des armes. L’expédition d’Égypte se préparait en secret, et le général Caffarelli Du-Falga, qui devait mourir glorieusement devant Saint-Jean-d’Acre, vint lui proposer, au nom du jeune vainqueur d’Italie, de l’accompagner avec son grade de maréchal-de-camp. Cette offre émut vivement M. de Tracy. Il demanda deux jours pour réfléchir avant de se décider. Ce furent deux jours de lutte. Son éducation ancienne et ses goûts nouveaux, les souvenirs de ses ancêtres et l’amour de ses idées, la gloire des champs de bataille et le service de l’esprit humain, se disputaient ses résolutions. À la fin, les travaux de la pensée l’emportèrent, et, non sans quelque regret, M. de Tracy prit le parti de rester philosophe.

Élu membre et secrétaire du comité de l’instruction publique, il concourut avec un zèle heureux à la réorganisation et à la conduite de l’enseignement national en France. Après le 18 brumaire, auquel ses amis de la société d’Auteuil, dont Sieyès était alors le chef, avaient si puissamment contribué, il fut nommé l’un des trente premiers sénateurs. L’accomplissement de ses devoirs politiques ne le détourna point de ses travaux intellectuels, et, en même temps qu’il soutenait avec fermeté ses opinions dans le sénat, il publiait, en 1801, le célèbre traité d’Idéologie qui contenait sa doctrine sur les caractères, le nombre, les opérations des facultés de l’entendement, la nature des idées, la puissance des habitudes, la valeur et l’action des signes.

Un an après, en 1802, il resserra les liens d’une ancienne amitié en mariant sa fille aînée au fils du général Lafayette. L’intimité des familles s’ajouta à la conformité des sentimens entre M. de Tracy et cet homme à la fois si spirituel et si héroïque, ce défenseur chevaleresque des nations, qui avait soutenu leurs droits dans un monde, les avait proclamés dans un autre, dont les fermes convictions avaient résisté aux menaces de l’anarchie, aux épreuves de la captivité, aux séductions même du génie et de la gloire, et que nous avons vu pendant plus d’un demi-siècle, la sérénité sur le front et l’amour de la liberté dans le cœur, traverser tant de révolutions sans changer, et toutes les fortunes sans fléchir.

Toujours établi dans le lieu charmant qu’il avait choisi pour sa