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pas d’autre but. Que résulte-t-il de ces vains efforts ? Qu’est-ce que la tradition sans la foi ? Ôtez la révélation, il n’y a plus de doctrine chrétienne. Quand vous vous fatiguez ensuite pour retrouver le mystère de la trinité par les lumières naturelles, qu’attendez-vous de toutes ces subtilités ? Ne sentez-vous pas, dès le premier mot, que la raison répugne à ces tentatives, et que, pour vouloir à tout prix faire d’un mystère un dogme philosophique, vous abandonnez du même coup la religion et la philosophie ?

Prenez tous ces philosophes qui rêvent une même folie, le christianisme sans mystères : tous leurs systèmes roulent toujours sur deux points, en Dieu la trinité, au-dessous de Dieu l’opposition et la lutte de deux principes. Que d’efforts pour retrouver ensuite dans le monde, au moyen des deux principes qui le gouvernent, l’image et en quelque sorte la continuation des trois personnes divines ! Une sorte de panthéisme confus et mystique est ordinairement le résultat de ces étranges tentatives. M. Blanc Saint-Bonnet n’a pas échappé à la loi commune. « La causalité, dit-il, est le principe qui individualise, et l’amour est le principe qui divinise le monde. » Où en serions-nous d’abord si l’on prenait au sérieux cette apothéose ? Il n’y a pas en philosophie de métaphores vaines. « Dieu, dit-il encore, donna le nom d’ame à l’essence qu’il avait abstraite de lui-même. » Le monde, sorti de Dieu par cette abstraction, y rentre par l’amour qui le divinise. Philosopher ainsi, ce n’est pas philosopher, c’est jouer imprudemment avec les doctrines philosophiques. Pour bien apprécier le rôle des deux principes de la puissance et de l’amour, il faut voir comment M. Saint-Bonnet explique par leur moyen les rapports de l’homme et de la femme entre eux et avec le créateur. L’homme est la puissance, et la femme est l’amour. M. Saint-Bonnet va même plus loin, car il nous dit que la femme est créée pour être l’amour de la puissance de l’homme, et l’homme pour être la puissance de l’amour de la femme. Cet amour de la puissance, et cette puissance de l’amour, ne faisaient d’abord qu’un seul être et un seul principe ; car M. Blanc Saint-Bonnet n’a pas échappé à cette pitoyable idylle de tous nos aventuriers philosophes, toujours empressés de coudre à leurs vaines et superficielles théories ce lambeau de vieille légende : « D’une ame, dit-il, le créateur en fit deux… Lorsque ces deux ames se retrouvent, chacune ne s’unit pas à quelque chose d’étranger à elle ; elle s’unit au contraire à quelque chose qui lui est intime et qu’elle possédait déjà par son origine. Chacune incomplète en soi possède ce qui compléterait l’autre. » Que l’on construise le monde