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DESTUTT DE TRACY.

quelque sorte le moment précis où il les a conçus. « Livré par les circonstances, écrivit-il à cette époque même, à mon penchant pour la vie solitaire et contemplative… je me mis à étudier, moins pour accroître mes connaissances que pour en reconnaître les sources et les bases. Cela avait été l’objet de la curiosité de toute ma vie. Il m’avait toujours semblé que je vivais dans un brouillard qui m’importunait, et la plus extrême dissipation n’avait jamais pu me distraire complètement du désir de savoir ce que c’est que tout ce qui nous entoure, comment nous le connaissons et de quoi nous sommes sûrs. »

Se laissant entraîner au penchant du siècle, dont les derniers et puissans efforts se portaient vers les sciences, M. de Tracy chercha d’abord à se rendre compte des phénomènes et des lois du monde physique. « L’étude de la nature, dit-il, attire tous mes regards, et elle a pour moi le mérite éminent d’apprendre à oublier l’histoire des hommes. » Buffon l’ayant embrassée dans toutes ses époques et dans toutes ses œuvres, M. de Tracy le prit pour guide. Il l’étudia sérieusement et profondément ; il admira ses magnifiques hypothèses, sa vaste imagination, la grandeur de sa pensée, l’art de ses compositions, la beauté de son langage ; mais il ne trouva point en lui un maître assez austère, et il passa de l’étude de l’histoire naturelle à celle de la chimie.

C’était le moment où le génie analytique du siècle triomphait avec éclat dans la création en quelque sorte subite de cette science. Un petit nombre d’années avait suffi pour renverser la vieille chimie conjecturale, pour placer au rang des chimères le phlogistique, ou principe inflammable, que Stahl, voulant expliquer le phénomène de la combustion, avait introduit dans les corps ; pour fonder, en un mot, la chimie positive sur les belles découvertes de Bergmann, de Scheele, de Priestley, de Cavendish, de Berthollet, et principalement de Lavoisier, qui lui avait donné ses méthodes et sa langue. M. de Tracy étudia avec ardeur et apprit avec admiration cette chimie merveilleuse qui pénétrait dans la secrète composition des corps, dissolvait les anciens élémens pour faire jaillir de leur sein des élémens nouveaux, saisissait les matériaux invisibles de l’air auxquels elle assignait leurs propriétés, leur proportion, leur pesanteur, découvrait les parties constitutives de l’eau, séparait entre elles les substances simples de la terre, expliquait pour la première fois les phénomènes jusqu’alors incompréhensibles de la respiration des êtres et de la combustion des corps, suivait, dans leur union quelquefois si compliquée et dans