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REVUE. — CHRONIQUE.

anglais rachètent par leur habileté et la puissance des capitaux ce qui leur manque du côté de la terre et des bras ; mais quelle que soit cette habileté, il est difficile qu’elle compense une aussi énorme différence que celle que nous venons d’indiquer. L’agriculture anglaise a d’ailleurs à l’égard de la nôtre une cause naturelle d’infériorité qu’elle doit vaincre avant tout : c’est son climat qui ne se prête ni à la même fécondité ni à la même variété de productions.

L’agriculture a fait en France des progrès immenses depuis quarante ans. Dans un excellent mémoire lu à l’Académie des Sciences morales et politiques, M. Hippolyte Passy estime que, de 1800 à 1837, le revenu agricole du département de l’Eure s’est élevé de 52 millions à 81, ou de plus de 56 pour cent. Dans tout le reste de la France, le progrès n’a pas été tout-à-fait aussi sensible ; mais, sur plusieurs points, il a été peut-être plus marqué, et on peut dire que dans l’ensemble notre production agricole a tiercé depuis le commencement du siècle.

L’Angleterre est un pays de grande propriété ; chez nous, au contraire, c’est la petite qui domine. La querelle n’est pas encore vidée entre les deux systèmes, quant à la production. Pour nous, nous croyons que la grande culture est plus favorable à certains produits, mais que la petite est plus favorable à la production en général. Admettons cependant qu’il y ait doute, et dans ce doute supposons l’égalité. L’ensemble de notre production agricole serait alors au moins le double de celle des Anglais, puisqu’elle occupe deux fois plus de terres et trois fois plus de bras.

Si l’on prend un exemple, celui des céréales, on trouvera en effet la production anglaise dans un état évident d’infériorité. La France récolte annuellement en grains de quoi nourrir sa population tout entière, et de plus de quoi fournir à 20 ou 30 millions de francs d’exportations. L’Angleterre, au contraire, ne produit pas assez de grains pour nourrir sa population, et elle est forcée d’en faire venir de l’étranger. On sait de quelles difficultés se complique pour elle cette question des céréales. Or, non-seulement la population de l’Angleterre est moins nombreuse que la nôtre, mais elle consomme infiniment moins de pain. Sous ce rapport donc, la production des céréales employées à la nourriture de l’homme, l’Angleterre est manifestement fort au-dessous de la France ; sa production, sous ce rapport, ne doit être que le tiers de la nôtre.

En revanche, dit-on, la production en bestiaux est beaucoup plus considérable. Ici même il y a dans les esprits des idées très exagérées. La France nourrit plus de bestiaux qu’on ne croit, et il ne faut pas juger par le prix de la viande à Paris de sa rareté dans toute la France. Sans doute, comme la consommation de la viande se répand de plus en plus tous les jours, la production ne s’accroît pas dans une proportion égale, ce qui fait hausser les prix sur plusieurs marchés ; mais il ne s’ensuit pas que l’accroissement de la production ne soit pas rapide en lui-même. À mesure que les nouveaux procédés agricoles se répandent, ils augmentent sensiblement le nombre des