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de la prévoyance qui se résout en actes, qui consiste à faire. La prévoyance négative qui se borne à s’abstenir, à éviter les affaires, est moins rare. Mais souvent aussi elle n’a que les apparences de l’habileté. S’abstenir aujourd’hui, c’est quelquefois se préparer des difficultés insolubles pour le lendemain : tel qui n’a pas eu le courage de liquider sa fortune n’a légué que la misère à ses enfans. C’est encore un lieu-commun : principiis obsta. C’est qu’à la vérité tout a été dit en fait de préceptes, et que cela n’a pas donné au monde un homme d’état de plus. Quoi qu’il en soit, la prévoyance active n’est guère des gouvernemens de discussion, parce que l’action demande le concours de tous, et que les motifs de l’action prévoyante sont rarement de nature à faire impression sur tous les esprits, à être également compris de tous. Ils tiennent souvent à des points délicats, à des prévisions dont la discussion même pourrait être un danger. Le système représentatif réunit à d’immenses avantages quelques inconvéniens, comme toutes les institutions humaines. Il est, j’oserai presque dire, comme un métier puissant, mais peu propre aux tissus délicats. Les ouvriers se distinguent plus encore par la force que par la finesse du travail. Ils ne se mettent à l’œuvre que lorsque le besoin de leur concours se fait vivement sentir, lorsque des faits frappans, urgens, leur imposent l’obligation de travailler. Alors on retrouve toute leur puissance, toute leur énergie. Hors de là, tout effort leur paraît inutile, tout projet leur paraît une fantaisie de rêveur. Bref, ils veulent vivre au jour le jour. Il faut se résigner. C’est une vie qui n’est pas sans dangers, sans alarmes ; mais si on sait au besoin en développer toute l’énergie, elle peut être en même temps une vie longue et glorieuse.


Nous avons, cette quinzaine, assisté à un nouveau et légitime succès de Mlle Rachel. Elle a joué, pour la première fois, le rôle d’Ariane, une des plus importantes, et, quoi qu’en aient dit plusieurs critiques, une des plus belles créations du théâtre classique. On n’ignore pas combien il sied à Mlle Rachel de se montrer sous la forme grecque, même la plus rapprochée des traditions mythologiques. La pureté des traits et du maintien, celle de la diction et du costume, l’harmonieuse correction des gestes, la mesure dans le pathétique, toutes ces rares qualités de la jeune tragédienne, l’ont comme prédestinée à être, sur notre scène, un vivant modèle de l’idéal antique. Mlle Rachel est naturellement une Ériphile, une Monime, une Hermione. Ce n’est que quand il lui faut revêtir une physionomie moins poétique et pour ainsi dire étrangère, qu’elle a besoin du secours de l’art. Aussi a-t-elle été tout d’abord une Ariane presque accomplie. Beaucoup plus sûre d’elle et de ses études que nous ne l’avions vue encore à une première représentation, elle a, du premier coup, rendu presque toutes les beautés du rôle. Dès son entrée, elle s’est bien emparée de la scène et l’a dominée jusqu’à la chute du rideau. Il est vrai que le rôle d’Ariane, empreint d’une passion franche et naïve, et tout en dehors, comme on dit au théâtre, n’est pas, à beaucoup près, aussi difficile à saisir et à rendre que les rôles voilés, mystérieux et