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REVUE. — CHRONIQUE.

tendre des étrangers reprocher à la France le lent accroissement de sa population, c’est-à-dire ce qui est la meilleure preuve de sa sagesse et de sa force, ce qui est la plus sûre garantie de son avenir.

Ce que nous voudrions, ce n’est pas que notre population augmentât plus rapidement. Trente-quatre millions d’hommes, avec les mœurs, les habitudes, les souvenirs, la géographie et les ressources de la France, n’ont rien à redouter de personne, et pourraient au besoin être redoutables à tout le monde. L’Europe le sait. Aussi, quels que fussent les sentimens intimes des cabinets, n’ont-ils pas songé un seul instant, en 1830, à renouveler ce qu’ils avaient pu tenter avec succès lorsque la France se trouvait épuisée par de trop longs et trop gigantesques efforts. Lorsqu’une plus forte population n’est pas nécessaire à la défense du pays, il serait à la fois absurde et criminel de la stimuler, car on n’est jamais sûr de voir les moyens de subsistance suivre exactement la même progression, et le moindre mal qu’on puisse faire, lorsque des deux termes celui de la population dépasse l’autre, c’est de rendre la vie des classes laborieuses plus dure et plus difficile, c’est de les placer sur le marché dans une situation fâcheuse, c’est de les contraindre à se contenter de salaires insuffisans et précaires ; bref, c’est de réaliser chez soi le triste spectacle qu’offrent si souvent les districts manufacturiers de l’Angleterre.

Ce que nous voudrions, c’est que le gouvernement profitât de ces temps de calme et de prospérité, de ces temps où les transitions lentes, sages, entourées de tous les ménagemens que commandent l’équité et la politique, sont possibles, pour étendre nos relations commerciales, pour tempérer un système qui, plus lentement, il est vrai, mais irrésistiblement, nous conduit vers ces crises qui agitent si souvent l’Angleterre. Or, qu’on le sache bien, notre position continentale et le caractère bouillant, impétueux, de nos populations, rendraient ces crises bien autrement difficiles et redoutables chez nous qu’elles ne le sont de l’autre côté de la Manche. Des traités de commerce ou bien une réforme générale ou partielle de ces tarifs ranimeraient les branches engourdies de nos industries naturelles, augmenteraient sans efforts les revenus du trésor, et donneraient à la politique française une base plus solide et plus large. On dirait que nous voulons l’isolement commercial comme nous voulons l’isolement politique. Nous proposera-t-on bientôt l’obstacle continu, comme si nous étions entourés de hordes errantes et barbares ? Comme si toutes relations fondées sur l’intérêt réciproque des parties contractantes étaient impossibles !

Au surplus, ce sont là des vœux dont nous n’attendons pas l’accomplissement. Le cabinet n’entrera pas dans cette voie ; il s’est cantonné dans la sphère de certains intérêts particuliers, et il n’a guère les moyens d’en sortir.

Soyons justes. On dit beaucoup que, des trois manières de voir, avant, pendant et après, c’est surtout la première qui doit, par excellence, appartenir aux gouvernemens. C’est là la théorie, et cette théorie, à la forme près, n’est qu’un lieu-commun, c’est l’éloge de la prévoyance. En fait, la prévoyance politique est nécessairement la plus rare et la plus difficile ; je parle