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de l’intérêt général, du travail national, déclamations hypocrites qui auront, pendant quelque temps encore, un certain crédit dans le monde. L’abaissement n’est-il pas de nature à permettre l’importation de la denrée, les consommateurs, les ennemis du système prohibitif, accusent la loi d’impuissance et de mensonge. Entre ces deux adversaires, le défenseur du projet, quels que soient son talent et son habileté, est obligé de se contredire ; ne pouvant être de l’avis de personne, il finit par ne plus être de son propre avis, à lui. Pour calmer les prohibitifs, il affirme que la denrée, malgré l’abaissement du droit, ne peut entrer ; si elle n’entre pas, le trésor ne percevra pas le droit, et le consommateur aussi ne tirera aucun parti de la loi. Il faut donc persuader au parti de la liberté qu’après tout la denrée sera importée, et que le prix en baissera. Vraiment les lois de cette nature devraient être discutées en deux salles séparées, dont l’une renfermerait tous les avocats du privilége, et l’autre tous les amis de la liberté commerciale. Le ministre s’en irait de l’une à l’autre, prouvant à la première que les frontières du royaume resteront fermées, et à la seconde qu’elles seront ouvertes.

Nous ne savons pas ce qui arrivera dans le cas présent du tarif anglais, et, à vrai dire, ce n’est pas là pour nous la question importante. Le fait remarquable à nos yeux, c’est la nécessité où se trouve le gouvernement anglais, où se trouveront plus tard, successivement, tous les pays industriels et à système prohibitif, de s’arrêter d’abord, de reculer ensuite, dans la voie où l’ignorance et la cupidité les ont précipités. Heureux ceux qui se trouveront les moins avancés dans cette voie, qui conduit à l’abîme ! L’Angleterre aperçoit ce terme fatal ; elle voudrait s’arrêter, ralentir du moins sa course, et se rendre possible une direction meilleure. Le pourra-t-elle ? En attendant, une effroyable misère dévore cette population de travailleurs qu’on a stimulée, excitée par tous les appâts de ce système trompeur, cette population qu’on a fait naître et qu’on ne peut suffisamment salarier, ces ménages affamés dont le nombre sourit à ces philantropes qui écrivent leurs pages sentimentales, leurs idylles économiques au coin d’un bon feu, après un succulent déjeuner, mollement assis sur les coussins de leurs élégans cabinets. C’est si moral d’encourager la naissance de pauvres enfans qui se meurent sur le sein épuisé de leurs mères !

Les Anglais font maintenant un appel à la charité. C’est très bien, et nous sommes convaincus que la charité ne sera pas sourde à l’appel. Les secours sont une bonne œuvre ; mais ils ne changent pas le fond des choses, ils ne corrigent pas les vices du système. Ils ne feront pas disparaître ce qu’il a d’artificiel et de faux ; ils ne rendront pas à la production, à la distribution, à la consommation de la richesse publique, des allures sensées, calmes, naturelles ; ils ne préviendront pas ces entassemens funestes d’une population en quelque sorte factice, entassemens dont nous devons nous féliciter tous les jours de ne voir que de rares exemples chez nous, comparativement à ce qui se passe ailleurs. Rien n’est plus ridicule, rien ne prouve mieux l’aveuglement et la sottise de l’esprit de parti et des rivalités nationales, que d’en-