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CHRONIQUE DE LA QUINZAINE.


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14 mai 1842.


De grands malheurs ont détourné, ces jours-ci, les esprits des débats de la politique. Chez nous, un horrible accident a couvert de deuil un jour de fête et de plaisir, et en présence de tous ces cadavres auxquels la mort n’a pas même laissé forme humaine, l’imagination attérée se demande : que serait-il donc arrivé si l’incendie eût éclaté quelques mètres plus loin, lorsque le convoi, suspendu en quelque sorte dans les airs à l’aide du viaduc, franchissait un abîme ?

Nous ne voulons pas anticiper sur les résultats des enquêtes et prononcer des jugemens hasardés. Que la justice informe et qu’elle prononce sur le passé ; il lui appartient. Nous nous préoccupons de l’avenir, et nous sommes de ceux qui demandent des études sérieuses et des précautions sévères. Qu’on ne vienne pas nous dire qu’en comptant tous les voyages faits sur nos chemins de fer, et en comparant le nombre des victimes à celui de toutes les personnes qui ont fait usage de ce moyen de transport, il n’y a pas sujet de s’alarmer ; qu’après tout, ce n’est qu’un accident sur des milliers de trajets, et que le nombre des morts et des blessés ne représente qu’une minime portion sur chaque centaine de voyageurs. Nous repousserions avec dédain ces tristes consolations de la statistique, ainsi que toute considération de même nature, car nous ne confondrons jamais les hommes avec les objets matériels ; le respect qu’on doit à la vie humaine est autre chose pour nous que les soins qu’on donne à des ballots de marchandises. Sans doute il ne faut rien exagérer ; il ne faudrait pas, sous l’impression de la douleur, s’abandonner à des préventions aveugles et imposer aux compagnies des charges exorbitantes. Mais est-ce là sérieusement ce qu’il y a lieu de craindre ? Ce qu’on a droit de craindre, c’est qu’au bout de peu de jours la catastrophe du 8 mai ne soit complètement oubliée, et que tout ne rentre dans l’ornière accoutumée. Dans