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n’étaient pas, comme ceux des Grecs, préparés à ce spectacle par les cérémonies du culte national. On peut lire une plaisante aventure de ce genre dans l’ouvrage de Philostrate sur la vie d’Apollonius de Tyane. Un acteur, qui n’avait pas cru prudent d’entrer en concurrence théâtrale contre Néron, s’était retiré dans la Bétique, dont il parcourait les différentes villes, exerçant son art dans les endroits où les habitans étaient le plus policés. Se trouvant à Hispalis, aujourd’hui Séville, il crut pouvoir y jouer une tragédie ; mais, dès son entrée sur la scène, l’effroi s’empara des spectateurs. Ils regardaient avec épouvante cette espèce de géant, dont la bouche offrait une si large ouverture, qui marchait à grands pas, monté sur de si hautes échasses, et à qui ses vêtemens donnaient l’aspect d’un monstre. Mais lorsqu’élevant la voix, le colosse se mit à parler, tous quittèrent leurs siéges et s’enfuirent, comme si, dit Philostrate, un démon les eût menacés[1].

Au reste, on sera moins surpris de cette terreur panique quand on saura combien les contrées ibériennes étaient alors ignorantes de ce qui concernait les jeux du théâtre. Philostrate raconte, au même endroit, que, Néron ayant envoyé aux Gaditains l’ordre de faire des sacrifices pour célébrer trois victoires qu’il venait de remporter aux jeux olympiques, les habitans des contrées environnantes crurent qu’il s’agissait de trois véritables victoires, et que Néron avait apparemment subjugué des peuples appelés Olympiens.

M. Patin, frappé, comme tous les critiques modernes, des inconvéniens attachés au système des masques scéniques, dont l’immobilité constante se refusait à l’expression variée des sentimens et des passions, adopte deux opinions souvent émises pour rendre raison de cet usage. Il croit, comme on l’a vu, 1o que la vaste étendue des théâtres anciens rendait une certaine exagération des traits des acteurs nécessaire à la perspective théâtrale ; 2o que les masques favorisaient certains procédés qui avaient pour but de grossir la voix de l’acteur et de la porter aux gradins les plus éloignés. En un mot, M. Patin pense que les raisons qui ont introduit et maintenu le costume tragique, et notamment les masques, sur les théâtres de l’antiquité, étaient tirées les unes de l’optique, les autres de l’acoustique. Je crois qu’à l’un comme à l’autre de ces motifs il y a beaucoup de choses à objecter.

Et d’abord, sur quoi se fonde l’argument si souvent répété que

  1. Philostr., Vit. Apoll., lib. V, cap. IX, t. I, p. 195.