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ont la désagréable apparence d’un pied de bœuf. Tout cela est bien loin, comme on voit, de la statuaire attique.

Enfin, un monument assez récemment découvert, une curieuse peinture publiée par M. Pacho, dans l’atlas de son Voyage à la Cyrénaïque, nous donne l’idée d’un autre moyen d’exhaussement employé pour grandir les acteurs. Cette peinture représente une scène de tragédie, où ne figurent pas moins de dix-neuf personnages. Trois seulement, dont un porte une massue, ont le masque et la stature tragique. Les seize autres sont des choreutes et des musiciens[1]. Les trois acteurs occupent chacun une petite estrade carrée, placée sur le proscenium, et qui semble avoir cinq ou six pouces de hauteur. Il me paraît probable que cette petite élévation est la partie du proscenium appelée par les Grecs ocribas, killibas, ou plus ordinairement logeion[2], et par les Romains pulpitum. L’invention en est encore attribuée à Eschyle : Modicis instravit pulpita tignis.

Le second moyen que ce créateur du théâtre grec prit pour agrandir la taille de ses acteurs, ce fut la coiffure et le masque. Une foule de monumens et de textes nous font connaître la forme, l’expression et jusqu’à la couleur des différens masques tragiques[3]. Ils ressemblaient très peu aux nôtres. D’abord, ils étaient beaucoup plus grands que nature ; puis ils ne s’appliquaient pas seulement sur le visage ; ils enveloppaient toute la tête, comme un casque ; de plus, presque toujours les masques de la tragédie étaient rendus plus imposans ou plus terribles par une sorte d’excroissance qui se dressait au-dessus du front, et qui avait la forme aiguë d’un lambda, λαμϐδοειδής. Des deux côtés de ce faîte, qu’on appelait ὄγκος, descendaient de longues tresses de cheveux blancs ou noirs, suivant l’âge des personnages, assez semblables à la vaste crinière des perruques dites à la Louis XIV. On peut voir, notamment dans les mosaïques d’Italica et du musée Pio-Clémentin, dans plusieurs peintures d’Herculanum et de Pompéi[4], dans diverses pierres gravées publiées par Ficoroni et par Winckelmann, des exemples de cette coiffure pyramidale, qui était commune aux masques d’hommes et de femmes[5],

  1. Il est pourtant remarquable que ces seize personnages sont placés sur le même plan que les acteurs, c’est-à-dire sur le proscenium, et non sur l’orchestre, où se tenait le chœur. Voyez l’Atlas de M. Pacho, pl. I.
  2. Hesych., voc. ὀκρίϐας
  3. Poll., lib. IV, § 133-142.
  4. Mus. Borbon., t. I, tav.XXI, XXII.
  5. Barthelemy croit que cette coiffure théâtrale provenait d’une ancienne mode athénienne. Anachars., t. VI, p. 95.