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ÉTUDES SUR LES TRAGIQUES GRECS.

musée du Louvre les statues des Muses, et surtout la Melpomène colossale, chaussées d’un très haut cothurne. Cette chaussure, dès le temps d’Aristophane, avait été adoptée par les habitans d’Athènes, hommes et femmes. Dans Lysistrata, le chœur des femmes dit au chœur des vieillards :

« Si tu me fâches, je te frapperai la mâchoire avec ce lourd cothurne. »

Ce lourd cothurne ne pouvait être la souple et élégante chaussure crétoise.

Outre le cothurne à hautes semelles, quelques monumens antiques nous montrent des espèces de supports ou échasses tragiques, ἐμβάδες ou ἐμβάται, dont l’invention est aussi rapportée à Eschyle, et qu’il ne faut pas confondre avec le cothurne proprement dit. En examinant, avec toute l’attention qu’elle mérite, la grande mosaïque scénique, conservée à Rome et publiée par Millin[1], on est particulièrement étonné de voir que les nombreux personnages qu’elle nous montre en habits de théâtre, n’ont pas de pieds. Ils sont posés sur des espèces de supports cylindriques, hauts de quelques pouces. On dirait des fantoccini que l’on promène à travers les fentes d’un plancher et qu’on fait mouvoir en dessous par des fils. Dans la plupart de ces figures, la robe, qui tombe presque jusqu’à terre, ne laisse voir que le bout de ces échasses, ou pieds de bois, comme les appelle un ancien[2]. Dans une ou deux figures seulement, on aperçoit l’extrémité du pied de l’acteur qui déborde ce support arrondi, et pousse un peu la tunique en avant[3].

Cette mosaïque n’est pas, d’ailleurs, comme le dit M. Millin, le seul monument qui nous fasse connaître les embades. Dans un bas-relief de la villa Panfili, publié par Winckelmann, on remarque, au milieu de plusieurs autres figures, un acteur tragique portant une massue et placé sur des échasses cylindriques[4]. Les autres personnages, au nombre de sept, n’ont pas la même chaussure. Je dois mentionner encore, pour sa singularité, une peinture de Pompeï, publiée par sir William Gell[5], dans laquelle on voit un acteur tragique élevé sur des embades qui dépassent un peu sa tunique et qui

  1. Description d’une mosaïque antique du musée Pio-Clémentin, représentant des scènes de tragédie, in-fo.
  2. Pseudo Justin., Epistol. ad Zenam, p. 507, ed. Morell.
  3. Voyez p. 16 et 17 et la figure no XI.
  4. Monum. Ined., p. 247, tav. 189. La chaussure de ce personnage tient le milieu entre l’embade et le cothurne.
  5. Pompeïana, t. II, pl. LXXV, p. 152.