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DU MOUVEMENT PHILOSOPHIQUE.

existe une traduction anglaise de cet admirable ouvrage, par Taylor (Londres, 1787). Hegel n’a pas l’abondante et magnifique inspiration de Plotin ; mais son ouvrage, traduit par M. Bénard, est aujourd’hui ce que nous avons de mieux dans notre langue sur la science du beau. M. Bénard n’a pas tout traduit ; il a abrégé quelquefois, suivant le système adopté par M. Michelet dans sa traduction de Vico. Faut-il l’en louer ou l’en blâmer ? En principe, ces remaniemens sous prétexte de traduction sont une chose déplorable ; toutefois, M. Bénard a composé son livre avec tant d’art, qu’on ne reconnaît pas la trace de son travail, et peut-être, après tout, nous a-t-il épargné des redites et des longueurs. Quoique l’Esthétique de Hegel soit un bel ouvrage, ce n’est pas là un de ces livres auxquels on ne peut toucher sans sacrilége.

M. Xavier Rousselot, qui habite Troyes, porte plus haut ses prétentions, car il a voulu écrire l’histoire d’une des trois grandes époques de la philosophie[1]. C’est ici, comme on voit, une très grande et très longue entreprise, et peut-être ferait-on mieux, quand on ne peut venir à Paris, de choisir un point restreint d’érudition, de traduire des ouvrages, ou de se livrer à la spéculation pure. Qu’on y songe, en effet. Pour écrire l’histoire du développement philosophique pendant plusieurs siècles, que de matériaux il faut compulser ! À Paris même, au milieu de tant de richesses bibliographiques, on ne pourrait tout trouver ; et, quand on aurait tous les livres sous la main, comment les lire ? Une histoire faite d’après d’autres histoires n’est pas une histoire, ce n’est rien ; c’est un manuel, un sommaire, quelque chose qui n’existe pas. Dans une ville où la philosophie est cultivée par un grand nombre de savans, on consulte sur ce qu’on ne peut pas lire ; on obtient des directions, des conseils. Mais conçoit-on que, dans une ville de province, un écrivain isolé, loin de tout secours, vienne à bout d’un tel projet ? M. Rousselot, il est vrai, a choisi le moyen-âge, et c’est la partie de l’histoire de la philosophie pour laquelle on trouve le plus facilement des secours. Les anciennes bibliothèques des parlemens et des couvens recèlent des trésors sur la scholastique, et dans plus d’un diocèse on rencontre encore de ces vénérables prêtres, tout chargés d’années et de science, qui ne tiennent pas assez à la gloire pour écrire, mais qui aiment trop la vérité pour ne pas secourir ceux qui la cherchent. Que M. Rousselot n’a-t-il donné des limites à son ambition ! Si M. Henri Martin, qui

  1. Histoire de la Philosophie dans le moyen-âge, par Xavier Rousselot, Paris, chez Joubert.