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LA POÉSIE LYRIQUE EN ALLEMAGNE.

leur disait-il dans le temps ; et maintenant : « Pourquoi n’êtes-vous venus alors ? » S’il n’a pas atteint le but suprême qu’il se proposait, du moins peut-on reconnaître que ses efforts n’ont pas été infructueux pour la science. En opposant à la froide raison de notre époque, à cet esprit qui tend à tout réduire, à tout analyser, à ne laisser subsister un fil de ce vêtement vivant de la divinité dont parle Goethe, en lui opposant des problèmes nouveaux, des mystères nouveaux, ou plutôt ignorés, oubliés, Kerner appelait l’attention sur une des plus grandes questions de la philosophie moderne : l’être de la conscience, et, qu’on me passe le mot, l’énigme de l’individualité. Ces phénomènes physiologiques, psychologiques, pathologiques, qu’il observe et décrit en les appuyant d’analogies et de parallèles rassemblés curieusement dans les archives du passé, devaient nécessairement provoquer des recherches plus sérieuses, des éclaircissemens nouveaux. Tandis que d’un côté on cherchait à démontrer l’unité humaine, l’identité de l’esprit et de la matière, Kerner s’efforçait de prouver la division des deux principes, une division non plus simplement abstraite, spéculative, mais réelle, et d’établir son système de dualité dans l’esprit. Sous l’empire des phénomènes que nous avons cités dans la première partie de ce travail, il déclare la conscience humaine quelque chose d’éternel en soi, mais de réel, de substantiel à ce point qu’elle est susceptible de recevoir l’action d’influences étrangères et de se modifier à leur contact. Ainsi je m’explique sa théorie des esprits familiers, des bons et mauvais anges, etc. Il fallait trouver une loi d’être à ces apparitions, il fallait, avant tout, les loger quelque part. On inventa le royaume intermédiaire, idée peu originale et renouvelée des alexandrins, qui devait paraître aussi monstrueuse aux théologiens orthodoxes, que frivole et ridicule aux partisans fanatiques du réalisme absolu. La science se souleva, avec quelle énergie, on le devine, contre ces opinions et ces théories de visionnaire, combattit à outrance ces hypothèses d’un éther nerveux, d’un organe psychique, et donna pour dernière raison aux phénomènes en question la maladie du sujet, la perturbation du système nerveux et de la vie de l’ame. Kerner riposta de pied ferme, et, dans ce conflit, le spiritualisme eut plus d’un bénéfice à enregistrer. Ainsi, l’attention se porta davantage du côté de la nature, le cercle de la raison fut étendu, le possible empiéta sur les limites où naguère commençait le domaine de la superstition. On accorda plus de valeur à l’instinct, à la conscience une base plus substantielle. Il fallut descendre dans les profondeurs de la