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LA POÉSIE LYRIQUE EN ALLEMAGNE.

tains développemens que le sujet paraîtrait comporter. Sans recourir aux digressions puériles de la muse architecturale, j’aurais voulu voir cette image originale exprimée avec une simplicité plus grandiose dans un style plus lapidaire. Évidemment le poète s’est laissé aller, comme on dit ; sorte de faiblesse assez commune aux lyriques d’instinct, à ces organisations délicates dont la poésie émane, comme le parfum de la fleur. Natures mélodieuses par essence, la note leur vient sans effort ni travail, comme en dormant ; aussi vous les voyez se faire scrupule de marchander avec le don de Dieu, qu’elles cultivent religieusement, et non sans quelque petite superstition. L’art leur apparaît comme une idole à laquelle elles dédaignent de sacrifier. Bien entendu que de semblables pratiques seraient désastreuses en dehors de la poésie lyrique, j’ajouterai même en dehors du genre le plus subjectif de la poésie lyrique. Dans une sphère un peu plus haute, l’idole, grace à l’opération de l’art, devient une divinité.

La joie de Kerner est plutôt timide qu’épanouie, plutôt sereine que bruyante et fougueuse : de même que toujours un arc-en-ciel de printemps serpente et se joue dans ses larmes, un grain de tristesse et de mélancolie tempère son sourire, qui ne manque jamais de vous attendrir, et, s’il ne vous arrache une larme, l’amène du moins jusqu’au bord de la paupière. Aussi, n’attendez pas chez lui de ces brusques péripéties, de ces transitions instantanées de l’humeur vive et sémillante à l’humeur sombre, de la gaieté rose au noir chagrin. C’est dans un clair-obscur de joie et de tristesse, dans une sorte de sérénité crépusculaire que la muse de Kerner s’attarde et se complaît. Chez lui, le sentiment religieux porte en soi un caractère de grace naïve et d’innocence, de simplicité tout ingénue. Évidemment Spinosa n’a point passé par là. Le panthéisme n’a point ici, comme chez Goethe, conscience de lui-même ; il n’existe qu’à l’état d’inspiration, de prélude ; c’est le culte aimable d’un enfant pour la nature. Heureux ou triste, affligé ou content, il l’invoque sans cesse, et ne saurait se passer de ses sympathiques assistances. C’est vers elle, toujours vers elle, qu’il tend les bras du sein de la mêlée humaine.

« Ô nature ! prends ton fils repentant dans tes bras maternels, et qu’il se ravive en ton sein pour une amour nouvelle.

« Comment s’est-il fait que je me sois égaré si long-temps ! À toi, mère, à toi ! Que d’angoisses et de malaise avant qu’il me soit donné de vivre en ton sein, comme la fleur et comme la source ! Mère, oh ! conduis-moi bien vite là-bas où nulle mêlée humaine ne s’agite. »