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LA POÉSIE LYRIQUE EN ALLEMAGNE.

appelle l’homme incessamment vers cette patrie dont nous parlions ; mais lui hésite et cherche d’où vient le son.

« J’entends sonner un cor des Alpes qui m’appelle du sein de mon être ; vient-il des profondeurs du bois ? de l’air bleu ? Vient-il du haut de la montagne ? Vient-il de la vallée en fleurs ? Partout où je me tiens et vais, ému d’une douce inquiétude, je l’entends !

« Que je sois au jeu, à la danse, ou seul, seul avec moi, il sonne sans trève, il sonne à fond dans mon cœur. Jamais encore je n’ai pu découvrir le lieu d’où part la voix, et jamais ce cœur ne sera tranquille jusqu’à ce qu’elle ait cessé. »

On connaît maintenant la note sympathique de Kerner, le mobile intérieur de ses chansons et de ses harmonies. La douleur, le désir inquiet, l’aspiration ineffable, ardente, inassouvie, voilà partout et toujours sa muse de prédilection ; l’apaisement le rend muet[1]. De là cette chanson en manière d’apologue, où le poète donne au sapin le pas sur la vigne à cause de l’éternel repos que ses planches renferment.

« Un don m’est départi à moi plus méritoire que ton vin. Passant fatigué de la vie, quelle paix contiennent mes planches ! »

Partout vous retrouvez des traces de ce sentiment inquiet, profond, inexorable, compensation douloureuse que le poète cherche en lui-même à la solitude extérieure. De là encore cette élégie si mélancolique sur la mort du pauvre meunier dont le moulin cesse de battre en même temps que le cœur :

« Les étoiles éclairent le vallon, on n’entend que la roue du moulin ; je vais chez le meunier malade, il a demandé son ami.

« Je descends l’escalier de pierre, le moulin gronde sourdement, une cloche y tinte la fin du travail.

« J’entre dans la chambre du meunier, le corps du vieillard gît là immobile, son cœur ne bat plus, son pouls s’arrête, dehors aussi tout est muet. Ses amis fidèles pleurent, son cœur demeure silencieux et froid ; les eaux coulent et passent, mais le moulin se tient muet. »

  1. Voyez la dédicace de ses Poésies. « Maintenant, ce qu’à peine j’entrevoyais en songe s’est réalisé pour moi. Au pied de la Frauentreue, sous les arbres verts, s’élève hospitalière notre petite maison, etc.

    « Bien loin se sont enfuies la douleur et l’aspiration inassouvie qui éveillaient le lied en moi ; ma joyeuse humeur, elle aussi, ne jaillissait que de mes larmes secrètes, que des tristesses dont j’étais la proie. Et maintenant, mon cœur, j’ai fini de chanter, puisque tu t’es défait de ta douleur ! »