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LA POÉSIE LYRIQUE EN ALLEMAGNE.

et du ciel en étoiles. À ce compte la nature lui devient un livre mystique, un hiéroglyphe d’étoiles et de fleurs qu’elle interroge avidement.

« Par un beau temps d’été, au mois où les lis fleurissent, où l’œillet et la rose s’enflamment et embaument, où par les jardins courent les fillettes, que le rossignol salue gentiment ;

« Moi, loin de mon pays, je m’arrête au bord de la mer. — Mais voilà que, du sein du vide, Rose, ton doux jardin fleurit pour moi ; voilà que tes roses s’enflamment ; la croupe des flots bleus imite nos montagnes, je vois dans l’immensité nos vallons, nos plaines en fleurs.

« Alors un inquiet désir m’attire, les yeux en larmes, je veux me noyer dans tes roses, mais, hélas ! les flots seuls grondent à l’entour. »

Nous recommanderons encore, dans ce genre de suave et tendre mélancolie, la Plainte du Printemps (Frühlingsklage) et la Sensation matinale (Morgengefühl), que le lecteur nous saura gré de traduire ici :

« La clarté de l’aurore annonce le nouveau jour, le jeune bois frémit tout enflammé des chaleurs de l’amour.

« Les étoiles, lasses d’errer, sont depuis long-temps descendues ; les oiseaux de la contrée volent joyeux dans le ciel.

« Et toi, pauvre cœur en peine, d’où te vient l’angoisse où te voilà pris ? Je sais un petit oiseau souffrant derrière le treillis d’une cage.

« Il entend la joyeuse volée des autres, et lui, languissant et malade, il ne peut chanter ni voyager.

« Et cependant tout à l’heure, en son rêve, la tête ployée sous l’aile, il s’imaginait qu’il chantait sur un arbre, et planait au-dessus des vallées et des collines. Oh ! éteins-toi, rayon de soleil ! nuit, monte, monte vite ; qu’au-dessus des vallons et des montagnes nous volions encore joyeusement. »

Quel regard pur et sympathique jeté dans la vie intime de la nature ! Ce pauvre oiseau rêveur, ce petit oiseau qui penche ainsi son col sous l’aile, chacun le voit et le connaît, mais nul ne l’avait encore si bien pris au filet de son lied.

Entre autres caractères distinctifs, la muse de Kerner a celui-ci, qu’elle ne saurait vivre qu’au grand air, en pleine atmosphère, sous la coupole dégagée du firmament. La colline et le ravin, le bois et la campagne, la clairière et le taillis, tout lui convient, tout, hormis la chambre et le renfermé. Dans la joie comme dans la peine, dans sa Sehnsucht ardente comme dans ses recueillemens pieux, dans sa rêverie solitaire comme dans ses espiègleries sociables, il lui faut la nature autour d’elle, il faut qu’elle sente la nature, la nature sous ses pieds, au-dessus de sa tête, qu’elle s’y baigne et s’y noie comme