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LA POÉSIE LYRIQUE EN ALLEMAGNE.

sentimentales, certains instrumens à vent, qui n’embrassent qu’un mode ou ceux qui lui correspondent, et tiennent un peu dans l’ensemble d’une lyrique rayonnante et complète, telle que l’entendait Goethe, la partie que, dans l’orchestre, occupe le cor de basset ou le cor des Alpes. Ce qu’on exige d’eux, comme des instrumens dont nous parlons, c’est qu’ils expriment en accords doux et flûtés les modes de leur compétence, parcourent de bas en haut l’échelle de leur tonalité, variant les temps et les modulations, ménageant avec art les nuances du piano au forte, en un mot, s’exerçant dans les limites qui leur sont assignées, limites fort convenables, du reste, et capables de suffire aux meilleures natures. En effet, si à l’unité lyrique, à l’unité de sentiment, on impose la variété de la forme, condition indispensable et sans laquelle autant vaudrait entendre chanter la caille dans les blés, ou gémir le coucou au fond des bois, personne ne songe à réclamer de ce genre je ne sais quelle faculté de rayonnement contraire aux lois élémentaires de l’esthétique. Il n’est pas dans la nature du basson ou du cor des Alpes de se complaire en de merveilleux scherzandos, pas plus qu’il n’entre dans la vocation d’un Wilhelm Müller d’écrire les sonnets de Pétrarque, ou d’un Justin Kerner de composer les Élégies romaines.

Parmi les coryphées de cette poésie unicorde, on citerait au besoin d’excellens lyriques ; ainsi, dans l’ancienne Allemagne, tous les minnesinger (j’excepte pourtant Walther de Vogelweide), dans la nouvelle, Holtey, Salis, Max de Seckendorf, Hebel, et tant d’autres.

Je ne sais pas à cette poésie de contraste plus beau, plus splendide, plus caractérisé, que la lyrique de Goethe, si variée de forme en ses mille rayonnemens. La lyre de Goethe, pourvue de cordes multiples et puissantes, parcourt la double et triple gamme, et module par tous les tons de chaque sentiment, passant de la mélancolie à la quiétude, de l’effusion des larmes au délire du cœur, toujours pure, toujours sonore, toujours vibrante en pleins accords. Goethe tout entier se retrouve dans sa lyrique.

Cependant on fera bien de se défier de cette faculté rayonnante qui, la plupart du temps, leurre les intelligences poétiques et les entraîne hors de la sphère où la nature les avait circonscrites, pour les jeter au hasard dans le vide. N’oublions pas qu’il n’est pire espèce dans les arts que celle des esprits flottans, et si, par fortune, il nous échoit une note en partage, tenons-la bien, car autrement elle nous échappe, et nous devenons comme ces cantatrices qui, à force d’avoir