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taire qui n’aura pas en France vingt lecteurs. Ce dialogue de Platon, qui paraît aujourd’hui édité, traduit et commenté par M. Martin, est l’un des plus difficiles à comprendre ; il ne suffirait pas, pour en venir à bout, de connaître à fond la langue grecque, si l’on n’était au courant des doctrines platoniciennes et du système de Pythagore. Platon, dans cet ouvrage, résume toutes les connaissances de son temps : l’astronomie, la musique, l’anatomie, la physiologie, la médecine même ; le commentateur pouvait-il être étranger à ces diverses sciences ? Enfin, à ce dialogue du Timée se rattache en quelque sorte toute une littérature ; on ferait une bibliothèque des commentaires anciens et modernes, grecs, latins, allemands, français, dont il a été l’objet, ou l’occasion, ou le prétexte. M. Henri Martin a eu le courage de dévorer tout cet ennui pour l’épargner après lui au reste des hommes. De cet amas de commentaires diffus, indigestes, incohérens, contradictoires, il a fait sortir un commentaire lumineux et comparativement très court, quoiqu’il n’ait pas moins de deux gros volumes. Il est possible, et ce sera tant pis pour le pays, que M. Martin n’ait pas travaillé dans son propre intérêt ; mais il a travaillé dans le nôtre, et il a fait, avec une persévérance sans égale et un talent au-dessus de tous nos éloges, un livre que béniront bien des fois les platoniciens à venir, et qui jette des lumières toutes nouvelles sur l’histoire des sciences dans l’antiquité. M. Martin est beaucoup moins un philosophe et un littérateur qu’un érudit et un philologue. Ses opinions sur la doctrine même de Platon n’ont pas toujours la justesse et l’exactitude de ses recherches scientifiques ; mais ce n’est là évidemment pour lui que l’accessoire ; la part qu’il s’est choisie, c’est celle que tout le monde aurait trouvée rebutante et inaccessible. La presse, tout occupée à analyser et à porter aux nues des romans et des nouvelles, ou à créer de quinzaine en quinzaine une théorie philosophique complète à l’usage des philosophes, des politiques, des savans et des industriels, n’a pas le temps d’enregistrer des travaux de cette importance, qui restent pourtant dans la littérature d’un pays, et n’ont pas la destinée éphémère de tant de systèmes de philosophie inventés en quelques jours pour quelque besoin, et abandonnés le lendemain par leur auteur. M. Henri Martin, n’a pas demandé qu’on le loue, et il est demeuré obscur. Après avoir achevé son grand travail sur le Timée et l’avoir imprimé à ses frais, il s’est mis tout aussitôt à composer une histoire des sciences du temps de Périclès. Il nous sera permis de dire au moins, sans attaquer la justice distributive de personne, que nous