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DU MOUVEMENT PHILOSOPHIQUE.

lettres dans la capitale. Pour qu’elles prennent caractère et produisent de grands résultats, il faut qu’elles se fassent adopter dans chaque province, qu’elles en comprennent l’esprit, les intérêts, les besoins, qu’elles s’identifient avec elles, qu’elles acquièrent ainsi de l’autorité, pour y exercer une action véritable. Déjà tous les cours sont en pleine activité, quelques-uns dans de bonnes conditions de succès. On fonde des revues, on publie des livres. Ce n’est qu’un commencement ; mais ce qui importe, c’est que l’impulsion donnée commence à être suivie. Un grand nombre de mémoires sur des sujets de philosophie ancienne, la traduction de plusieurs livres allemands, une histoire générale de la scholastique, une histoire du cartésianisme, deux traités complets de philosophie, voilà, en laissant de côté tout ce qui ne s’adresse pas au véritable public et paraît composé dans un intérêt autre que celui de la science, le résultat général de cette première campagne ; et quoique la plupart de ces ouvrages n’aient qu’un mérite contestable, si l’on veut se rendre compte de l’état de la philosophie en France, on ne saurait faire abstraction de tous ces travaux et de toute cette activité.

Le mouvement particulier des diverses provinces n’est pas encore, au bout de trois ans, assez nettement dessiné pour que l’on puisse rapporter à chacune d’elles les ouvrages qu’elle a produits, et en tirer des conséquences pour son avenir. Rennes est la seule ville qui fournisse pour son contingent un grand nombre d’ouvrages ; après elle, viendrait Lyon : les facultés de création nouvelle se signalent les premières. Les professeurs de l’université n’ont guère composé que des mémoires, et la plupart sur des sujets restreints. Les philosophes étrangers à l’enseignement conçoivent de plus hautes pensées, et publient des histoires générales ou des systèmes complets de philosophie. En général, les prétentions les plus modestes ont été les plus heureuses : la science ne compte pas de nouvelle école ; mais l’érudition philosophique s’est enrichie de plus d’un excellent mémoire.

Un des meilleurs ouvrages, le meilleur peut-être qu’ait produit la province dans ces derniers temps, c’est le livre de M. Th. Henri Martin sur le Timée de Platon[1]. Il faut louer d’abord M. Martin d’avoir choisi un sujet approprié à son talent, et non au goût et aux préférences de l’époque. S’il n’avait songé qu’à lui et à ses intérêts, il n’aurait pas consacré quatre années de sa vie à écrire un commen-

  1. Études sur le Timée de Platon, par Th. Henri Martin, professeur à la faculté des lettres de Rennes. Paris, chez Ladrange.