Page:Revue des Deux Mondes - 1842 - tome 30.djvu/604

Cette page a été validée par deux contributeurs.
598
REVUE DES DEUX MONDES.

— Plût à Dieu qu’elle pût guérir ! dit Andrette en soupirant, mais les médecins l’ont condamnée ; ils disent que d’un moment à l’autre elle peut s’éteindre en nous parlant. Elle est au dernier degré d’un mal de poitrine. Ah ! s’il y avait un remède à ce mal, fallût-il l’aller chercher à cent lieues d’ici en marchant à genoux, j’irais !

Le lendemain, Estève était de retour au monastère. À l’issue de la messe conventuelle, il se trouva sur le passage du prieur, qui l’arrêta d’un geste amical. Le père Anselme avait compté que le zèle religieux du jeune profès se manifesterait dans la visite qu’il lui avait permis de rendre à cette vieille femme incrédule qui l’appelait près de son lit de mort.

— Eh bien ! mon cher fils, lui dit-il, quel a été le fruit de votre voyage ? Êtes-vous content de ce que vous avez fait et des dispositions où vous avez laissé votre parente ?

— Oui, mon révérend père, répondit simplement Estève. Je l’ai trouvée l’ame pleine de bonnes intentions et résignée à la volonté de Dieu.

Le soir, lorsque tous les religieux se furent retirés dans leurs cellules, Estève entendit dans le dortoir le pas bien connu du père Timothée, et son chien Niger qui grattait doucement à la porte.

— Qu’avez-vous rapporté de votre voyage à Paris, mon cher fils ? dit le vieux moine en souriant et en tournant les yeux vers un objet placé sur la table et soigneusement enveloppé ; encore quelque livre défendu ?

Estève prit le coffret et l’ouvrit en silence.

— De l’or ! s’écria le père Timothée, de l’or ! des diamans ! Mais c’est une fortune qu’il y a là-dedans !

Alors Estève lui raconta ce qui s’était passé, et lui montra le portefeuille où Mme Godefroi avait écrit sa recommandation dernière.

— Si je croyais à une providence divine, je verrais sa main en tout ceci, dit le vieux moine. Qu’allez-vous faire maintenant que ces moyens de salut sont entre vos mains ? Quels projets avez-vous, mon cher fils ?

— Aucun, répondit Estève avec une tristesse calme ; une force encore plus puissante que les obstacles matériels me retient ici. Peu m’importent le scandale que ma fuite causerait dans la communauté et les anathèmes que fulminerait contre moi le prieur ; mais je frémis à la seule pensée du désespoir de ma mère, si elle apprenait que j’ai violé mes vœux. Ma mère, si pieuse ; ma mère, qui m’a voué à Dieu, hélas ! ne se consolerait jamais de mon apostasie ; elle mour-