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DU ROMAN DANS L’EUROPE MODERNE.

sommes petits et puérils, ils étaient emphatiques et ridicules. D’où vient cette différence ? On ne peut résoudre ce problème définitif que par un examen métaphysique que nous ne tarderons pas d’aborder.

Quant à cet élément analytique, si curieusement isolé par nous des autres élémens constitutifs du roman moderne, une fois né, il ne resta pas à l’état didactique et stérile, que nous avons étudié chez quelques vieux Allemands. Les alliances de cette observation individuelle avec le platonisme amoureux et le récit épique ont produit le roman de La Calprenède, celui de Mlle de Scudéry, enfin celui de Mme de Lafayette, perfectionnement délicat des romans de chevalerie. Assimilé au récit passionné comme dans Manon Lescaut, à l’érudition archéologique et locale comme dans Ivanhoë et Kenilworth, à la moralité puritaine comme dans Clarisse et Paméla, sous quelque forme que l’on veuille apprécier le roman moderne, toujours on trouve au fond, et sous les alliages les plus divers, cet élément primitif et neuf, le détail de l’individualité humaine.

V. — DES SOURCES MORALES DU ROMAN MODERNE.

Le principe de cette individualité appartient aux vieux Germains, et Tacite en fait foi ; principe qui attribue à chaque homme sa force et sa valeur. Mais ce premier germe n’aurait pas suffi. À côté de l’indépendance germanique, l’individualité chrétienne, l’examen septentrional, l’importance donnée à la vie domestique et aux femmes par les peuples du Nord, ont concouru à faire naître ce génie de l’observation qui s’est surtout développé en Angleterre. Résumons-nous donc et prenons ces élémens un à un : 1o  principe germanique, chacun attachant aux individus une importance égale et jouissant d’une indépendance relative ; — 2o  principe chrétien, principe de la confession ; chaque vice examiné, sondé, creusé, chaque vertu pesée, chaque motif approfondi ; rien de tel n’avait lieu chez les païens ; — 3o  principe septentrional ; chacun exerçant son jugement sur toutes choses, et par conséquent toutes choses jugées de divers points de vue ; — 4o  principe domestique ou du ménage ; les tableaux d’intérieur, que les anciens méprisaient ou négligeaient, devenant intéressans, ainsi que les personnages qui s’y trouvent décrits : voilà les élémens du roman moderne. Comment vont-ils se combiner, et que vont-ils enfanter ?

Le peuple chez lequel ils ont trouvé leurs proportions les plus favorables à l’art nouveau, c’est le peuple anglais. Il est homme d’affaires,